Après examen de la constitutionnalité de la loi par le Conseil constitutionnel ayant censuré des dispositions très à la marge, la loi Climat et Résilience a été promulguée le 22 août dernier. L’urbanisme est entré dans une nouvelle ère, tout comme l’a été le passage de la loi SRU le 13 décembre 2000. Il est important de mesurer l’impact du ZAN sur la pratique de l’urbanisme et sur la manière de faire du développement territorial.

Les discussions autour du sujet laissent entendre, bien souvent, que les territoires sont prêts et qu’ils regorgent de projets sobres foncièrement. C’est sans doute parce que le Zéro Artificialisation Nette est un sujet soumis à débat depuis 2016 et plus encore depuis 18 mois, néanmoins il est important de mettre en garde ceux qui sont tentés de minimiser une telle réforme de l’urbanisme. Nous sommes convaincus que cette nouvelle règle, légitime à bien des égards[1], implique de revoir notre projet de société autour de la sobriété territoriale.

Un nouveau projet de société autour de la sobriété territoriale

Ce projet doit complètement renverser notre approche du développement territorial et notamment lors de la définition des documents de planification (SCoT, PLUi, PLH…). Alors que l’élaboration d’un Projet d’Aménagement et de Développement Durables (PADD) de PLU ou de SCoT commence bien souvent par des scénarios qui visent à définir :

  • un objectif de croissance démographique nécessitant la construction d’un certain nombre de logements,
  • un nombre d’emplois à accueillir nécessitant l’implantation de nouvelles entreprises ou permettre des extensions,

il est également nécessaire d’inverser la méthode et de construire un projet en fonction des capacités d’un territoire (foncier, accès à l’eau, niveau d’équipement, capacités agronomiques…).

A ce titre, la nouvelle loi n’est pas pleinement satisfaisante : il est indiqué que le Document d’Orientation et d’Objectifs (DOO des SCOT) subordonne l’ouverture à l’urbanisation de nouveaux secteurs comportant des sols naturels, agricoles ou forestiers à :

  • l’existence de besoins en matière de logements et des obligations de production de logement social résultant de la législation applicable, en lien avec la dynamique démographique du territoire ;
  • l’existence de besoins en matière d’implantation d’activités économiques et de mutation et redynamisation des bassins d’emplois.

Au-delà de la règle sur les logements sociaux, la question du besoin ne se suffit pas à elle-même, étant par essence dépendante du projet territorial.

Changer de projet de société et de développement territorial équivaut à accepter d’abandonner des projets, des zones à urbaniser (AU) et non pas simplement les redécouper pour rentrer dans les stocks fonciers négociés avec les services de l’Etat. Changer de projet de société nécessite un accompagnement pédagogique, des élus en premier lieu mais également des habitants (la maison individuelle avec jardin devenant pour beaucoup de ménages inaccessible), des propriétaires fonciers, des agriculteurs et de l’ensemble des parties prenantes. Changer un projet de société nécessite de le faire collectivement et il s’agit, du principal écueil de cette loi. Certes, la convention citoyenne pour le climat a inscrit dans ces 150 mesures l’objectif de Zéro Artificialisation Nette, mais cela ne signifie pas que la société est, à ce stade, prête à un développement territorial plus sobre ; les différentes réunions publiques et enquêtes publiques des documents d’urbanisme nous en donnent la preuve régulièrement.

La loi fait l’économie de cette nécessité de faire de la sobriété territoriale un projet partagé. Les documents d’urbanisme vont devoir se mettre en conformité dans un délai court (5 ans pour les SCoT et 6 ans pour les PLU/PLUi/cartes communales), à travers une modification simplifiée (possibilité laissée par le législateur), c’est-à-dire sans concertation préalable (sauf en cas d’évaluation environnementale) et sans enquête publique. Alors que la plupart des mises en conformité avec la loi vont remettre en cause les PADD des PLU/PLUi intégrant des objectifs chiffrés de limitation de la consommation d’espaces, nous allons pouvoir, via une procédure accélérée et simpliste, modifier les droits à bâtir de dizaines voire de centaines d’hectares sans en avertir personne ou presque (le dossier doit être mis à disposition du public en mairie ou au siège de l’intercommunalité pendant un mois).

Cette marche forcée est également de mise pour les communes ou intercommunalités qui sont en cours d’élaboration de leurs documents d’urbanisme et notamment pour celles qui finalisent ou ont finalisé leur traduction réglementaire et n’ont pas pu pour diverses raisons arrêter leur projet avant le 24 août. Pour celles-ci, la loi s’applique directement et le projet devra bien souvent être revisité (reprise du PADD, revoyure du zonage soit à minima 12 à 18 mois de travail) car la réduction de moitié de l’artificialisation ne sera pas toujours atteinte. C’est d’autant plus surprenant que les PLU datant d’après 2011 ont une dérogation de 10 ans si leur projet réduisait d’un tiers l’artificialisation par rapport à la période antérieure. Ces projets ont pourtant déjà quelques années et sont bien souvent moins sobres foncièrement que les projets en cours d’élaboration.

Les élus locaux vont donc devoir expliquer la nouvelle règlementation et prendre à leur compte la pédagogie nécessaire dans la mesure où ils vont faire face à des sollicitations continues, voire à des recours contentieux sur leur document d’urbanisme.

Une nécessaire adaptation aux territoires

Nous avions, à la lecture du projet de loi en février 2021, fait part de notre inquiétude à l’application uniforme de l’objectif de réduction pour moitié de l’artificialisation à chaque territoire. En effet, les territoires sont la résultante d’une histoire, pour certaines industrielles, pour d’autres rurales et agricoles ou encore ayant connu un développement majeur du péri-urbain.

Ces différentes trajectoires/histoires plus ou moins récentes leur confèrent des caractéristiques différenciantes et impliquent une application adaptée de cet objectif afin que le ZAN, puisse être mis en œuvre de manière juste et assure l’attractivité territoriale.

En effet, était-il raisonnable que les territoires plus vertueux au cours des 20 dernières années, ayant travaillé sur les friches ou l’évitement d’une surconsommation d’espaces ne puissent plus se développer a contrario des territoires sur-imperméabilisés ou qui disposent de par leur histoire d’un grand nombre de friches leur assurant des capacités de compensations importantes ?

La commission mixte paritaire a entendu la nécessité de territorialisation de l’objectif. L’objectif de division par deux à l’horizon 2031 s’applique à l’échelle nationale et il est également précisé désormais que ces objectifs sont appliqués de manière différenciée et territorialisée, dans les conditions fixées par décret en conseil d’Etat. Cette modification plus qu’utile permettra une meilleure acceptation de ce changement de paradigme. Néanmoins les indicateurs devront être suivis pour que cette ambition ne reste pas un vœu pieux. A ce titre la loi impose aux collectivités un suivi tous les 3 ans du rythme d’artificialisation. L’Etat quant à lui devra faire cet exercice tous les 5 ans. Chaque territoire a sa part de responsabilité dans la mise en œuvre de cet objectif sans quoi l’application sévère d’une règle comptable risque de s’appliquer dans quelques années comme seul rempart à la consommation d’espaces agricoles et naturels.

Un chemin qu’il reste encore à baliser pour que ce projet devienne réalité

Certes, il reste encore 30 ans pour trouver le bon modèle de développement. Néanmoins, les implications de la mise en œuvre du ZAN doivent être anticipées :

  • Les documents d’urbanisme vont être dans les prochaines décennies moins malléables. Les aménageurs publics ou encore les EPF/EPFL vont devoir à ce titre être plus attentifs à leur élaboration pour participer au débat et donner leur point de vue sur la stratégie de développement.
  • Des projets vont sans doute devoir être délaissés alors qu‘ils auront déjà fait l’objet d’études à un stade plus ou moins avancé.
  • La réduction forte des espaces à urbaniser va également sur certains territoires générer une augmentation du prix du foncier nécessitant une stratégie amont pour limiter cette hausse et permettre la sortie de logements abordables.
  • La temporalité des projets va s’allonger avec le traitement de la pollution, la mise en œuvre de projets complexes et pourra avoir un impact sur la production de logements
  • L’équilibre des opérations va être modifié au regard du foncier mais également du financement de la compensation ou de l’intégration de la dépollution…

Au regard de ces impacts, il devient nécessaire d’assurer une montée en puissance de l’intervention publique dans le domaine de l’aménagement.

Les territoires et l’Etat vont devoir faire émerger des structures d’accompagnement dans des territoires peu tendus/dotés (couvrir tout le territoire d’EPF et EPFL, mettre en place des foncières logements vacants…). Ils vont également devoir piloter une politique foncière coordonnée (actuellement très segmentée : EPF, SAFER, Agglomération, communes) à partir d’une stratégie foncière territoriale partagée entre tous les acteurs.

Autre sujet incontournable à la bonne réussite de ce projet : l’adaptation de la fiscalité !

La réussite du Zéro Artificialisation Nette passera par la mise en place d’une   fiscalité incitative avec une taxe d’aménagement réduite en cas de projet en renouvellement urbain (démolition/reconstruction) une exonération de taxe pour la résorption d’une friche de plus de 5 ans ou encore une taxe d’aménagement majorée si le projet est sur un terrain agricole ou naturel. De la même manière on pourrait imaginer la mise en place d’une exonération de la taxe foncière pendant 2 ans pour tout logement vacant ayant fait l’objet de travaux de réhabilitation pour être remis sur le marché. Cet avantage pourrait être corrélé à l’élargissement national de la Taxe sur les logements vacants en dehors des secteurs tendus.

Enfin, il convient de revoir l’ingénierie de projet et de construire de nouveaux montages permettant de faire émerger des projets sur du foncier complexe à mobiliser. Cette rentrée est marquée par les appels d’offres pour accompagner les Territoires pilotes de sobriété foncière. La pertinence des acteurs et leur connaissance fine des territoires devraient permettre, là encore, de construire des solutions qui seront peut-être intégrées dans une prochaine loi.

Construire un développement territorial moins consommateur d’espaces et moins impactant est une nécessité mais le chemin est encore long pour atteindre collectivement l’objectif du Zéro Artificialisation Nette.  Nous nous y engageons pleinement avec l’envie d’accompagner les collectivités et les acteurs de l’aménagement dans la construction prospective de territoires plus sobres et plus humains.

Timothée HUBSCHER

[1]  Décrit dans un article précédent : Le Zéro Artificialisation Nette : nouvelle contrainte ou opportunité pour repenser les territoires / 7, décembre, 2020 – http://www.citadiavision.com/2020/12/le-zero-artificialisation-nette-nouvelle-contrainte-ou-opportunite-pour-repenser-les-territoires/