Le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) inscrit dans la loi pour la reconquête de la biodiversité constitue aujourd’hui plutôt une ambition qu’un objectif tant la définition précise, l’échelle d’analyse et les solutions d’application n’ont pas été clairement exprimées et identifiées. Pour autant, les services de l’Etat ont reçu par voie de circulaire « l’ordre » de durcir le ton sur la limitation de la consommation d’espaces dans le cadre de l’élaboration ou la révision des documents d’urbanisme afin de tendre vers cet objectif.
Les contours du ZAN et sa concrétisation opérationnelle ne sont aujourd’hui pas clairs et les services de l’Etat en Région et/ou en Département n’en ont pas tous la même interprétation.
Le zéro artificialisation nette, ambition, vers laquelle nous nous dirigeons en continu depuis le Grenelle (soit depuis plus de 10 ans) est tout à fait légitime à deux titres. La France connait un recul rapide de la biodiversité et elle est le pays européen le plus urbanisé par habitant et, sur certains territoires, l’artificialisation croissante, voire exponentielle, n’a pas toujours été synonyme d’attractivité et de gain de population. En parallèle de cette urbanisation, des phénomènes corrélés sont constatés : augmentation de la vacance, dévitalisation des polarités et de leurs commerces, équipements et services, augmentation des friches au sein des zones d’activité et commerciales… Il est cependant indispensable de ne pas porter un regard simpliste et comptable sur cet enjeu aux réalités territoriales multiples et complexes. Les territoires sont la résultante d’une histoire, pour certaines industrielles, pour d’autres rurales et agricoles ou encore ayant connu un développement majeur du péri-urbain.
Ces différentes trajectoires/histoires plus ou moins récentes leur confèrent des caractéristiques différentes et impliquent une application adaptée de cet objectif afin que le ZAN, puisse être mis en œuvre de manière juste et assure l’attractivité territoriale
Quel rôle pour la planification ?
Alors que nous voyons poindre des webinaires et d’autres formations/ conférences sur le sujet du ZAN, la question est souvent abordée sous l’angle opérationnel à l’appui de quelques exemples démonstrateurs. La planification est oubliée voire dévaluée, alors qu’elle est, nous semble-t-il, le gage de la réussite de cette ambition ; à condition qu’elle se réinvente pour la mettre en œuvre.
La planification territoriale est mise à l’épreuve depuis 2010 par la succession de lois, le cumul de documents cadre et programmes, la lourdeur des procédures administratives ainsi que la fermeté des exigences, parfois contradictoires, des parties prenantes (personnes publiques associées, partenaires, élus, techniciens, etc.). C’est pourquoi, les retombées directes de ces plans attendues depuis 2000 (Loi SRU) réaffirmées en 2010 (Grenelles de l’Environnement), ne sont pas à la hauteur des objectifs initiaux de préservation des ressources dont le foncier.
Ces dernières années, certains documents d’urbanisme n’ont pas manqué d’ambition quant à la mise en œuvre de la limitation de l’artificialisation des sols mais ont manqué de projet commun et partagé donnant un sens précis à l’enjeu de sobriété foncière. De plus, l’exercice prospectif, incontournable de la planification a été oublié, il donne du sens à la remise en question d’un existant et à la construction d’une décision politique.
Et si la planification du zéro artificialisation nette pouvait être un accélérateur des bonnes pratiques communes ou une manière de renouer avec le bon sens ?
Le ZAN offre un cadre précis à la réflexion territoriale, la règle du jeu est exposée au travers d’une problématique qui doit trouver une solution plurielle, adaptée et locale. Le code de l’urbanisme doit évoluer, car il emploie, en partie, une sémantique qui n’est plus en phase avec les enjeux contemporains d’aménagement du territoire et particulièrement le terme « consommation d’espace ». Néanmoins il ne faut pas s’arrêter aux mots, l’objectif ZAN est national et l’échéance proche est (2050), ce qui doit permettre de recentrer, en grande partie, les enjeux de ces plans autour du foncier ainsi que de hiérarchiser les orientations permettant de dessiner une stratégie territoriale précise et plus « facile » à évaluer. En effet, la planification, par son envergure et ses domaines, manque parfois de clarté en raison de l’exhaustivité des problématiques traitées et de la multiplication des objectifs à atteindre.
Le ZAN est l’occasion de faciliter l’adhésion et l’acceptation des enjeux de sobriété territoriale. Encore faut-il être capable de vulgarisation et d’expliquer ses tenants et aboutissants, de replacer le projet individuel porté par le citoyen dans un projet collectif et de société. L’urbanisme de projet devra toujours être replacé à une échelle globale de capacité d’accueil des territoires afin d’être évalué sous l’angle de la préservation globale des ressources et pas seulement sous l’angle du foncier : eau, air, etc. ainsi que de la gestion des flux (réseaux routiers, etc.).
Il va donc sans dire que la planification est au cœur du processus, mais il convient de poser clairement la question du périmètre d’application et de s’assurer l’adaptation de la règle aux contextes.
Quel périmètre ?
Bien que l’ambition soit portée à l’échelle nationale, son application, est nécessairement locale et c’est bien ce que traduit la circulaire ministérielle envoyée aux Préfets.
En effet, si l’objectif ZAN doit nécessairement se traduire dans les différents documents de planification que sont les SRADDET, SCoT, PLUi, PLU, il semble néanmoins indispensable de définir l’échelle la plus pertinente et la plus efficiente pour apprécier la trajectoire de réduction de la consommation d’espace et traiter des questions de compensation et de renaturation.
Les règles du jeu doivent être établies au préalable pour pouvoir construire sereinement des projets de territoires portés par les élus. Le ZAN doit permettre aux élus et techniciens de se sentir légitime pour émettre un avis sur les choix de leur voisin, pratique encore tabou (même dans le cadre d’élaboration de PLUi ou SCoT). En effet, le choix réalisé à l’échelle d’un secteur de projet est de fait replacé dans une organisation territoriale globale pour laquelle les collectivités devront être solidaires afin d’en assumer la conséquence collective : la compensation. A la manière des PLUi, le ZAN va être un accélérateur de la construction d’une culture territoriale (dépassant le cadre des limites administratives) de l’aménagement des territoires. Au-delà, le ZAN impose de replacer les analyses spatiales à des échelles élargies, l’imbrication des systèmes territoriaux : ruraux, périurbains, urbains. Un passage obligé, complexe, que beaucoup de plans n’ont pas réalisé à l’image de l’offre foncière de zones d’activités économiques qui parsème nos territoires sans cohérence. Cela impose de dépasser les limites administratives ou les périmètres d’application des documents, ce qui n’est pas aisé. En effet, bien que les PLU communaux devront s’engager dans le ZAN, la compensation et le calcul du zéro artificialisation nette ne pourra pas toujours se faire à l’échelle du PLU ou du PLUI. L’échelle du bassin d’emploi qui ne correspond pas à un découpage administratif serait l’échelle adéquate pour penser la compensation. Le ZAN ne peut donc être appliqué seulement à l’échelle communale voire intercommunale mais doit être pensé et articulé à une échelle élargie et concertée. Les scènes de dialogue créées au travers des plans tel que les InterScoT seront, il faut espérer, renforcées.
Quelle prise en compte des caractéristiques territoriales ?
La prise en compte des caractéristiques territoriales dans l’application du ZAN participera à l’acceptation par les élus de sa mise en œuvre. En effet, il n’est pas possible que les territoires plus vertueux au cours des 40 dernières années, ayant travaillés sur les friches, l’évitement d’une surconsommation d’espaces ne puissent plus se développer à contrario des territoires sur-imperméabilisés ou qui disposent de par leur histoire d’un grand nombre de friches leur assurant des capacités de compensations importantes.
De même certains territoires sont, au regard des services, des transports collectifs et des équipements qui le composent en sous-densité, ce qui pourrait leur permettre de mettre en place un développement en renouvellement urbain, au contraire de certains territoires qui ne pourraient sacrifier leur identité sur l’autel de la densité.
Pour être partagé et faire « sens commun », il devra également (mais pas seulement) être abordé d’une manière ascendante : de la décision de l’habitant à la décision politique, de l’urbanisme de projet à la planification, de la compensation ponctuelle à la stratégie anticipatrice.
En plus d’être une démarche d’élaboration d’une stratégie territoriale, la planification demeure une procédure de conduite du changement qui doit avant tout sensibiliser et mobiliser les acteurs de la mise en œuvre d’un projet bien au-delà de la date d’approbation du plan.
Une fois la planification assurée place aux d’outils opérationnels et financiers
Afin de sortir de la simple posture dogmatique qui consiste à imposer de manière comptable cet objectif du zéro artificialisation nette, et qui se heurte à des injonctions contradictoires (densifier et combler les dents creuses tout en végétalisant les villes et en limitant les îlots de chaleurs) il est indispensable de définir des outils opérationnels et surtout de les accompagner de financements (programme partenarial par exemple) ou d’avantages fiscaux. Il s’agit de construire un modèle économique qui facilite les projets de reconquête des sites pollués, des logements vacants ou encore de projets de désimperméabilisation ou de renaturation.
L’enjeu est majeur car le ZAN ne peut pas trier les territoires en fonction de leurs capacités d’investissements ou de la réalité du marché foncier et immobilier. En effet, priver de tout développement des territoires n’ayant pas de moyens et/ou aux marchés très peu tendus, au contraire de territoires dotés et/ou disposant d’un prix du foncier et de l’immobilier permettant de développer de nouveaux types de projet, ne serait pas entendable par les territoires, leurs élus et les habitants et renforcerait le sentiment d’une France à deux vitesses.
De fait, la mise en œuvre du zéro artificialisation nette doit poser les bases d’un accompagnement sur mesure des territoires, laissant les postures de côté, et faisant preuve de pragmatisme (c’est-à-dire pouvoir être traduit opérationnellement et accompagné) pour éviter d’être déconnecté des réalités locales.
Le ZAN ne doit donc pas juste être considéré comme une nouvelle obligation réglementaire. L’application d’un tel principe n’est pas non plus seulement un nouvel outil pour permettre aux urbanistes (ou plutôt aux ingénieurs) de réfléchir à un nouveau modèle territorial. C’est aussi, nous l’espérons, une autre manière de faire société
Timothée HUBSCHER et Florence GUITER
Laisser un commentaire
Vous devez être identifié pour poster un commentaire.