Merc/at accompagne la collectivité du Grand Calais Terres & Mers dans l’élaboration de son Programme Local de l’Habitat. Calais, ville-centre de l’EPCI, y déploie le permis de louer depuis deux ans. La finalisation de la phase de diagnostic territorial constitue une opportunité pour vous proposer notre retour d’expérience sur ce dispositif de lutte contre l’habitat indigne : quel est le fonctionnement de cet outil, quelles sont ses limites opérationnelles ?

Logement dégradé,  dans le quartier Saint-Pierre de Calais. Crédit Photographique : Merc/at

Le 5 novembre 2018, dans le quartier de Noailles à Marseille, les immeubles 63 et 65 de la rue d’Aubagne se sont effondrés. Huit personnes décèdent lors de la catastrophe. Marie-Arlette Carlotti, Présidente du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées dénonce la responsabilité de la municipalité phocéenne : « Les effondrements de la rue d’Aubagne ne relèvent pas de faits divers accidentels et imprévisibles”, mais “d’une continuité de défaillances systémiques des dispositifs et des acteurs publics”. » (Source : Batiactu).

La résorption de l’habitat indigne, susceptible de porter atteinte à la santé et sécurité de ses occupants, est une prérogative du Maire, de l’EPCI le cas échéant, et du Préfet. A l’échelle nationale, l’intervention des collectivités sur ce tissu urbain dégradé est complexe car le logement est un bien de propriété privée, liberté fondamentale du droit français, avec une dimension marchande importante. Néanmoins, celle-ci ne saurait être un prétexte à l’exploitation de la misère via la location de logements ne respectant pas les normes d’hygiène et de sécurité, à des prix égaux voire supérieurs à ceux du marché immobilier.

En 2016, un décret d’application de la loi ALUR met à la disposition des collectivités un outil pour lutter contre ces propriétaires bailleurs indélicats : le permis de louer. Le dispositif permet de soumettre à l’autorisation préalable de la collectivité toute mise en location de logement sur un listing d’adresses défini en amont. A ce jour, une centaine de communes l’ont expérimenté, principalement en Ile-de-France et dans la région Hauts de France. Au sein de ces deux régions, le phénomène d’indignité des logements et la présence de marchands de sommeil est importante, avec respectivement 150 000 et 200 000 logements estimés comme potentiellement indignes au sein du parc privé (source : données PPPI 2013).

Un dispositif pro-actif et préventif pour contrôler et accompagner les propriétaires bailleurs

Calais est une polarité en quête d’attractivité, tournée vers son port. Cité dentellière florissante au XIXème siècle, le dynamisme de la ville est en déprise depuis la désindustrialisation.  Malgré le démantèlement officiel de « La Jungle » en 2016, Calais reste associée à la crise humanitaire et migratoire européenne. Le tissu urbain vieillissant du centre-ville est hérité de la période de la Reconstruction (1945-1955), et la paupérisation d’une partie importante des résidents du parc privé limite les perspectives de travaux. A Calais, plus de 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté [Filocom 2017].

Parc collectif de la reconstruction, quartier Calais Nord. Crédit Photographique :  Merc/at.

La mobilisation du permis de louer s’inscrit dans la continuité du Programme National de Requalification des Quartiers Anciens Dégradés, mené au sein du secteur central Fontinettes-Vauxhall depuis une décennie. Un premier travail de repérage a été effectué par les techniciens de la ville pour définir un périmètre stratégique d’intervention : « L’objectif était de tester ce nouvel outil au sein du secteur avec le plus fort taux d’habitat dégradé, qui localise environ cinq cents propriétaires bailleurs » témoigne le service Hygiène et Salubrité de Calais.

Cinq rues du secteur sont alors retenues pour tester le dispositif (rue du Vauxhall, Auber, du Château d’eau, Van Grutten et du 29 Juillet). Une campagne de presse est menée par la municipalité, des tracts sont distribués. Au sein du périmètre, tout propriétaire qui désire louer son bien doit déposer une demande d’autorisation en mairie. Le personnel des services hygiène et salubrité de Calais dispose d’un mois pour effectuer une visite du logement et transmettre sa délibération. Passé ce délai, une autorisation par accord tacite est délivrée.

Schéma de fonctionnement du régime d’autorisation du permis de louer

Source : Schéma Merc/At

Cette démarche permet à la collectivité de surveiller les transactions effectuées sur le marché local, mais l’intérêt majeur du permis de louer réside dans sa vocation préventive. L’outil permet d’intervenir en amont de la mise en location du bien. Entre 2019 et 2021, 187 dossiers ont été traités par la Ville de Calais, et moins de deux demandes sur dix ont abouti à un accord sans réserve de mise en location.

Le propriétaire bailleur qui ne respecterait pas le verdict ou passerait outre le dispositif s’expose à des amendes de 5 000 à 15 000 euros. La sanction est appliquée par la Direction Départementale des Territoires et le montant de l’amende est reversé à l’ANAH.  Aucune sanction n’a été délivrée durant les deux ans d’application du permis de louer à Calais, les services techniques ont privilégié le dialogue avec les propriétaires bailleurs.

Un nécessaire portage du dispositif par la collectivité dans le cadre d’une politique globale de lutte contre l’habitat indigne.

A l’échelle nationale, l’acceptation du permis de louer nécessite son inscription au sein d’une politique globale de lutte contre l’habitat indigne. L’association de cet outil coercitif à des aides complémentaires à la réhabilitation permet d’accompagner les propriétaires bailleurs vers la rénovation de leur bien. Cette association vertueuse a favorisé l’évaluation positive du dispositif par la commune de Calais : la majorité des autorisations délivrées ont permis d’améliorer la qualité des logements grâce à l’impératif de réalisation de travaux. Au regard de ce constat et dans la continuité des besoins identifiés lors d’une étude pré-opérationnelle d’OPAH, la municipalité a délibéré en faveur d’un permis de louer élargi à partir d’octobre 2021. Le nouveau périmètre comprend 7 000 logements pour environ 3 000 propriétaires bailleurs, il concorde avec le périmètre d’une OPAH-RU lancée simultanément. Les deux outils coercitifs et incitatifs sont complémentaires : « L’OPAH-RU prévoit des subventions dédiées pour accompagner les propriétaires bailleurs ayant reçu une mention ‘accord sous réserve’ à réaliser les travaux de réhabilitation du logement » souligne un technicien du service Hygiène et Salubrité de la ville de Calais.

Carte du périmètre d’application du permis de louer à Calais en octobre 2021. Source : www.grandcalais.fr

Les procédures administratives et techniques relatives à la mobilisation du permis de louer sont chronophages. Ainsi, les collectivités qui envisagent la mobilisation de cet outil ont ainsi tout intérêt à identifier et mettre à disposition les moyens humains et financiers nécessaires à son application. En cas de non-respect des délais de visite, un accord tacite est délivré sans connaissance de l’état du bien, ce qui peut conduire à discréditer l’outil. Face à la hausse de la charge de travail induite par l’extension du permis de louer à Calais, les services de la ville ont recours à un prestataire externe pour assurer la visite des logements dans les délais impartis. En parallèle, une convention est en cours de signature entre les services de la Caisse d’Allocation Familiale et la ville de Calais. L’organisme signalerait à la collectivité toute nouvelle demande d’ouverture d’aide au logement sur le périmètre du dispositif, renforçant sa vocation d’observatoire de la qualité de l’habitat et des évolutions du marché.

Ainsi, le permis de louer constitue un outil efficient pour lutter contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil, s’il est associé à un portage de la collectivité adéquat. Cette démarche induit la mise à disposition de subventions non couvertes par les aides de l’ANAH par la collectivité, notamment pour cibler des travaux mineurs de réhabilitation. Cependant, la mise en place du dispositif peut induire des crispations avec les propriétaires bailleurs et gestionnaires de biens immobiliers. Ces professionnels craignent que l’outil altère la fluidité des démarches administratives nécessaires à la location du bien. A Calais, le choix politique d’instaurer la gratuité du permis de louer et les aides publiques complémentaires délivrées ont favorisé son acceptation par les ménages locaux. Mais le profil des propriétaires n’est pas uniforme et la collectivité lutte contre une pluralité de marchands de sommeil : du propriétaire indélicat au bailleur criminel. L’aspect déclaratif du permis de louer constitue dès lors une limite majeure à son efficacité. Dans la continuité du dispositif, la collectivité doit engager des poursuites judiciaires contre les bailleurs qui exploitent la vulnérabilité des locataires et s’inscrire véritablement dans une politique globale de lutte contre le mal-logement.

Ainsi, à l’échelle nationale, l’efficacité du permis de louer est conditionnée par les moyens techniques, financiers et humains déployés par la collectivité pour sa mise en œuvre. Ces enjeux de gouvernance et d’ingénierie peuvent constituer une contrainte pour de petites communes. Dès lors, dans le cadre des Opérations de Revitalisation de Territoire, du dispositif Petite Ville de Demain ou du Programme Local de l’Habitat, l’accompagnement dispensé par MERC/AT se révèle stratégique. Il permet d’animer et de coordonner une politique publique de l’habitat cohérente avec les besoins du territoire, et de mobiliser le permis de louer sur un périmètre efficient pour lutter contre le mal-logement. Or, au regard des évolutions législatives récentes, l’attractivité du parc locatif privé constitue un enjeu majeur. La loi Climat et Résilience prévoit une interdiction de mise en location dès 2025 pour les  « passoires thermiques », ces logements qui disposent d’un diagnostic de performance énergétique médiocre selon le nouveau système de classement national (catégories F et G). Selon une étude réalisée par le groupe Seloger en novembre 2021, 4.8 millions de logements seraient concernés par cette échéance. Face aux restrictions, les ventes de logements énergivores pourraient s’accélérer. Afin de limiter la fuite en avant des propriétaires, il est nécessaire de favoriser la communication autour des solutions techniques et aides à la rénovation existantes. A l’échelle nationale, cette sensibilisation est déjà amorcée mais elle doit être renforcée. En décembre 2021, seulement 35 % des propriétaires de logements classés F & G sondés par le site pap.fr affirmaient vouloir réaliser des travaux de rénovation sur leur bien, 47 % n’avaient pas encore pris de décision. (sur un échantillon de 1878 propriétaires, source : article de Jean-Noël Escudié/P2C pour Localtis).

Martin Fréguis

Sources de l’article :

Escudié, Jean-Noël. “Loi Climat Et Résilience : L’inquiétude Monte Sur L’évolution De L’offre De Logements Locatifs”. Localtis-Banque Des Territoires, 2021, https://www.banquedesterritoires.fr/loi-climat-et-resilience-linquietude-monte-sur-levolution-de-loffre-de-logements-locatifs

“Le Permis De Louer, Cet Outil Dont S’Emparent De Plus En Plus De Villes Pour Lutter Contre L’Habitat Indigne”. Le Monde.Fr, 2021, https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/07/27/le-permis-de-louer-cet-outil-dont-s-emparent-de-plus-en-plus-de-villes-pour-lutter-contre-l-habitat-indigne_6089612_3224.html

“Régimes D’autorisation Préalable Et De Déclaration De Mise En Location : Anil, Analyses Juridiques Et Jurisprudence”. ANIL, 2021, https://www.anil.org/aj-autorisation-prealable-declaration-mise-en-location/

Calais.Fr, 2021, https://www.calais.fr/fr/Ville-de-Calais/vivre-a-calais/logement-et-urbanisme/permis-de-louer