Les crises successives des gilets jaunes et du COVID-19 semblent avoir (ré) introduit dans le débat public les questions d’aménagement du territoire. La société entière semble s’accorder sur l’urgence à définir une stratégie ambitieuse pour relever les défis de demain et anticiper. Le recours à la prospective et à la planification apparaît alors comme une évidence. Quelles évolutions peut-on, doit-on attendre en matière de planification territoriale ?

Si on assiste depuis une vingtaine d’année à une inflation démesurée des démarches de planification à travers l’élaboration des SRADDET, SCoT, PLUi et PLU, nous ne pouvons que constater la dérive certaine vers une surenchère de normes chiffrées concomitantes avec le recul de la planification stratégique. Notre capacité à nous projeter collectivement passe désormais par le prisme du quantitatif.

Pourtant, “L’impasse intellectuelle se renforce lorsque le quantitatif s’invite : 25% de logements sociaux, 15% de part modale du vélo, zéro artificialisation, etc. L’indicateur devient l’objectif. Le chiffre masque la question, évite la problématisation”. Jean-Marc Offner dans Anachronisme Urbain

Rompre avec la gouvernance du chiffre pour renouer avec une gouvernance de projet

Alors, comment sommes-nous devenus des comptables de l’urbanisme et par là certainement des tartuffes de la planification ?

La libéralisation de la donnée (Open Data) et l’augmentation des flux de données (Big Data) constituent une extraordinaire capacité d’analyse des territoires mais le vertige des chiffres ne doit pas précipiter la prospective territoriale dans une quête infinie de la donnée toujours plus précise et plus récente, au risque d’oublier l’objectif initial. En perdrait-on notre sensibilité au territoire ?

La montée en puissance des normes et objectifs chiffrés a certainement détourné notre attention du projet. La planification territoriale est devenue un exercice mathématique et technique, forcément détenu par les techniciens, où il est plus important de se concentrer sur des éléments de justification et sur l’atteinte théorique d’un objectif chiffré que sur le projet et sur les Hommes qui font vivre le territoire.

Hypercontextualisation Vs strandardisation 

Quand le chiffre devient la norme, l’uniformisation menace.

Les élus et l’opinion publique sont aujourd’hui convaincus de la nécessité de conduire des politiques publiques ambitieuses pour répondre aux besoins en logements, pour lutter contre le dérèglement climatique ou l’artificialisation des sols. Face à l’urgence sociale ou climatique et à l’effondrement de la biodiversité, l’inscription d’objectifs chiffrés dans la loi semble vouloir répondre à une obligation de résultats. Mais la norme imposée uniformément ne peut constituer une réponse satisfaisante face à la pluralité des besoins et des dynamiques des territoires.

Comment traiter de la cohésion sociale si le seul indicateur analysé est le pourcentage de logements sociaux ? Comment restaurer la biodiversité si le nombre d’arbres plantés ou d’espaces désimperméabilisés prend le pas sur la fonctionnalité des espaces créés ?

Laisser penser que l’écosystème territorial peut être piloté dans une tour de contrôle hors sol à l’aide d’indicateurs sélectionnés, nous attire dans un chemin unique et normé qui se détache du contexte, de la géographie et donc du territoire. La prise en compte de l’extraordinaire diversité du territoire français exige une approche différenciée garante d’équité territoriale et de justice sociale.

“Ré-enchantons” la planification

L’exercice de prospective et de planification territoriale est ingrat et difficile.

Difficile du fait de la complexité croissante des enjeux, de l’accélération des mutations de nos territoires et de nos sociétés et surtout de l’inflation normative.

Ingrat car les objectifs fixés sont toujours en décalage avec la réalité et la planification souvent décriée comme un frein à la mise en œuvre opérationnelle.

Mais ne renonçons pas, car l’absence d’une véritable planification stratégique serait pire qu’une planification imparfaite. L’ambition de développement de nos territoires ne peut être réduite à une vision administrative dogmatique et l’initiative des choix d’aménagement ne peut être laissée aux seules foncières immobilières et autres développeurs immobiliers.

La promesse de la planification doit être celle d’un futur désirable écrit par l’ensemble des parties prenantes dans une démarche basée sur :

  • le dialogue avec ceux qui vivent et font vivre le territoire comme média d’orientation majeur dans les prises de décisions ;
  • une approche décloisonnée, des analyses transversales permettant de passer le territoire au crible des grands défis contemporains : la santé et la qualité de vie, la cohésion sociale, le changement climatique, la préservation de la biodiversité ;
  • la mise en évidence des marges de manœuvres et des potentialités du territoire plutôt que de ses seuls dysfonctionnements.

Notre ambition doit être de réintroduire une véritable démarche prospective au service du projet et de remettre l’humain au cœur de nos approches.

Fanny Galiana