Depuis fin 2019, le groupement MERC/AT- SCET accompagne le Ministère du Logement et de l’Aménagement de Polynésie française dans l’élaboration de sa première Politique Publique de l’Habitat. La tenue du Séminaire de clôture le 19 Février 2021 est l’occasion de retracer notre approche auprès de cet archipel du Pacifique, dont la culture et l’organisation géographique ont nécessité un pas de côté dans nos méthodes d’accompagnement des territoires.

L’accompagnement vers la formalisation d’un premier cadre d’intervention du Pays en faveur de l’habitat

Dix-huit mois après le lancement du projet, nous organisions le Séminaire de clôture de la démarche d’élaboration de la Politique Publique de l’Habitat. Si les actions en faveur du logement sont déployées depuis de nombreuses années, les gouvernements successifs naviguaient à vue, sans diagnostic complet et transversal qui puisse les guider dans leurs réflexions ; sans outil d’évaluation des mesures et dispositifs engagés, qui puissent leur permettre de tirer le bilan des actions conduites et les réorienter si nécessaire. L’installation de ce cadre stratégique constituait l’objectif principal de notre mission.

C’est donc la première fois que le Pays s’engageait dans un travail de fond sur la thématique de l’Habitat, et non plus du Logement. Si la nuance de vocabulaire est ténue, ses impacts sont majeurs dans les réflexions puisque dès le lancement, il a été convenu de traiter non seulement le cadre bâti du logement, mais aussi ses interrelations avec son environnement qui forment l’acte d’habiter à part entière.

La définition d’une politique publique au croisement d’enjeux sociétaux, géographiques et culturels

A l’arrivée, nos premières perceptions de l’ile de Tahiti se confrontent brutalement aux images paradisiaques inscrites dans notre imaginaire collectif. L’air est épais, presque suffocant, nous nous retrouvons au milieu d’un trafic automobile dense sur la route de ceinture qui suit l’étroite bande littorale, sur laquelle se concentre de manière chaotique l’ensemble des activités humaines. Ensuite l’habitat se dilue sur les hauteurs et la végétation luxuriante prend le relai jusqu’aux sommets, 2000 mètres plus haut.

Les 118 îles de Polynésie française se dispersent au sein d’un territoire maritime grand comme l’Europe. Parmi elles, Tahiti concentre 70% de la population polynésienne, mais aussi les emplois, les équipements et services, et polarise ainsi la majorité des flux économiques, scolaires et médicaux. L’éclatement géographique du Pays crée des parcours résidentiels peu linéaires. Traditionnellement, le réseau familial et ses solidarités permettent d’organiser un parcours de vie qui s’affranchit de l’insularité (accueil d’écoliers ou étudiants, parfois avec les parents, accueil de personnes en parcours de soin, etc.). La famille occupe en effet une place toute particulière dans la société polynésienne. Héritage du mode de vie traditionnel, dans une grande partie des ménages polynésiens, plusieurs générations vivent sous le même toit et conservent des liens forts, sans que les nouveaux logements ne prennent réellement en considération ces modes de cohabitation, avec pour conséquence des phénomènes de surpeuplement accrus.

En Polynésie, la terre a une valeur patrimoniale et identitaire. Traditionnellement, le droit de propriété se transmettait uniquement au sein de la famille, qu’il s’agisse de la famille proche ou la famille élargie. Le droit métropolitain s’est progressivement imposé puis substitué aux traditions polynésiennes. Aujourd’hui, la question foncière cristallise l’opposition entre deux conceptions de la propriété et finalement, deux visions de la société. De nombreux Polynésiens résistent au mouvement d’attribution individuelle de la propriété, et les terres sont maintenues dans l’indivision et gérées de manière communautaire. En termes de titre de propriété et d’occupation des terrains, les situations sont complexes voire inextricables et constituent un des principaux freins à la mobilisation de fonciers constructibles et donc à la construction de logements neufs.

Un changement de paradigme : de Produire Plus, à Produire Mieux

L’ultra-concentration de l’activité économique dans l’agglomération de Papeete a contribué au renchérissement des prix de l’immobilier et du foncier, repoussant toujours plus loin les populations en quête d’accession à la propriété et contraignant les personnes les plus précaires à vivre au sein de quartiers d’habitats informels, généralement auto-construits, en d’autres termes : de bidonvilles. Augmenter la production de logements locatifs sociaux (aujourd’hui à un niveau très faible, 3% du parc) est aussi un enjeu majeur que le Pays doit relever pour résorber le stock de demandeurs et reloger les familles résidant au sein d’habitations insalubres.

Quartier Mama’o, Papeete, classé en politique de la ville et Programme de rénovation urbaine. Crédit photo : Emmanuelle DURAND MERC/AT

L’accent a longtemps été mis sur l’aspect quantitatif du besoin en habitat. Bien sûr, il est important et les efforts de production de logements doivent être maintenus pour répondre à la demande en attente et renouveler les logements dégradés. Les conclusions de notre étude ont surtout éclairé la sphère politique et professionnelle sur la nécessité d’orienter la production vers les logements correspondant davantage aux besoins des familles polynésiennes, dans toute leur diversité et de réguler le marché immobilier au regard des prix, totalement déconnectés des niveaux de revenus d’une grande partie de la population.

Un nouvel écosystème d’acteurs sur le champ de l’habitat : des rôles à (re)définir et affirmer

La démarche de diagnostic et d’évaluation des dispositifs existant a mis en relief la mauvaise circulation de l’information et le fonctionnement en silo, encore caractéristiques du fonctionnement des services du Pays. La culture d’un dialogue interministériel renforcé est essentielle à la définition d’actions efficaces mais aussi nécessaire à l’évaluation de l’impact des dispositifs mis en place.

Le partenariat engagé et accompagné par MERC/AT lors de la définition des axes de cette politique publique (groupes de travail multi-acteurs, ateliers par archipels, etc.) a donc scellé les bases de nouvelles modalités de travail destinées à perdurer lors de la mise en œuvre de la Politique Publique de l’Habitat.

D’autre part, le Pays ne dispose pas à l’heure actuelle des instruments opérationnels nécessaires pour mener à bien une politique de l’habitat. Par le passé, le déficit d’ingénierie locale a largement contribué à la difficulté d’atteinte des objectifs à la fois en matière de production de logements abordables ou de réhabilitation du parc existant. L’Office Polynésien de l’Habitat (OPH) a longtemps été le seul opérateur public en capacité d’intervenir sur le logement et a constitué une réponse unique à l’ensemble des problématiques rencontrées, ce qui s’est avéré inefficace dans la mise en œuvre.

Dans ce contexte, nous avons préconisé le recentrage de l’OPH sur son métier de bailleur social (construire, gérer, réhabiliter du logement social), pour des raisons organisationnelles et d’efficacité de son action. Ceci est affirmé comme une priorité au sein de la Politique Publique de l’Habitat et nécessite que d’autres opérateurs puissent prendre le relai sur des métiers connexes. Ce nouvel écosystème d’acteurs sera notamment composé d’un aménageur public (en cours de création), d’un opérateur de lutte contre l’habitat indigne (dont l’émergence sera accompagnée par la Fédération SOLIHA), d’opérateurs de production de logements intermédiaires (les Organismes de Logements Sociaux Privés) et de la nouvelle Agence d’Aménagement et de Développement des Territoires de Polynésie française créée en 2020.

Notre mission auprès du Ministère du Logement et de l’Aménagement visait aussi à poser les bases d’un futur Observatoire de l’Habitat dont l’action sera à la fois de produire des analyses objectivées permettant le suivi et l’évaluation régulière de cette politique publique, mais aussi de maintenir la dynamique partenariale installée au cours des 18 derniers mois.

Il a fallu abandonner une partie de nos certitudes pour comprendre la sociologie de l’habitat polynésien, intégrer les impacts de sa géographie particulière. Certaines missions nous font grandir professionnellement, humainement aussi. Celle-ci nous rappellera surtout la nécessaire humilité que le travail de consultant requiert lors d’une première rencontre avec un territoire.

Revue de presse :

https://www.radio1.pf/une-politique-de-lhabitat-qui-noublie-personne/

https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/25-des-logements-sont-indignes-939712.html

https://www.presidence.pf/seminaire-de-cloture-de-la-demarche-delaboration-de-la-politique-publique-de-lhabitat/

http://www.polynesie-francaise.pref.gouv.fr/Actualites/Communiques-de-presse/2021/Seminaire-de-cloture-de-la-demarche-partenariale-d-elaboration-de-la-strategie-habitat-de-la-Polynesie-francaise-2020-2030