La dynamique du marché de l’immobilier conduit à déconnecter de plus en plus l’offre de logement des capacités d’accession des ménages.
En réponse, les politiques publiques s’efforcent de solvabiliser les ménages accédants, mais les effets des dispositifs mis en place se trouvent limités dans le temps et rattrapés par les logiques de marché.
Malgré tout, l’appétence des français pour la propriété les conduits à trouver des solutions, bon gré, mal gré. Aussi dans la réponse à l’envie d’être propriétaire, l’enjeu ne réside pas que dans le coût du logement, mais aussi et surtout, dans sa disponibilité (à long terme), sa qualité et sa localisation. Et si c’était ça le vrai sujet ?

« En 20 ans, le pouvoir d’achat immobilier des français a augmenté ». Ce phénomène, certes plausible d’un point de vue financier (la hausse de l’enveloppe budgétaire pour l’achat est principalement imputable à la baisse des taux de crédit immobilier), masque cependant plusieurs réalités : la tension sur certains marchés immobiliers conduit à un renchérissement des prix excluant des ménages des classes moyennes et conduit à des concessions en matière de qualité du logement, de surface, de localisation.
La hausse de cette enveloppe d’achat ne conduit pas à une montée en gamme des produits achetés et se déconnecte de plus en plus des niveaux de revenus des ménages, notamment dans les métropoles.
Le phénomène, perçu et observé par les élus, les opérateurs, mais surtout par les primo-accédants, se vérifie sous diverses formes et perspectives, mais toujours avec le même constat : le foncier, et le(s) logement(s) sur lequel(s) il(s) repose(nt), est devenu rare et cher. Si les documents de planification sanctuarisent aujourd’hui de larges tènements fonciers (agricoles, naturels…), et il faut s’en réjouir car cela réduit les phénomènes d’étalement urbain et d’épuisement de la ressource, cela se fait encore trop souvent en occultant cette réalité économique. La valeur marchande est concentrée sur des tènements de plus en plus restreints, créant ainsi de fortes inégalités de prix entre les territoires. Le foncier est donc coiffé du coût lié à l’opportunité de construire plus qu’à la valeur de la construction. En synthèse, le droit à construire génère plus de valeur que la construction elle-même.

Pour sortir de cette spirale, les pouvoirs publics déploient des mesures diverses permettant d’assurer le parcours résidentiel de leurs administrés vers l’accession à la propriété : stratégie foncière, accession sociale, prêt à taux zéro, etc. ; la plupart sous la forme d’une aide individuelle au ménage accédant.

Le logement n’échappe pas aux nouveaux modes de consommer

Face à cette augmentation des coûts du foncier, le Bail Réel Solidaire (BRS) est par exemple une solution intéressante. Dispositif de dissociation foncier/bâti, il scinde en réalité le remboursement de l’opération en deux parties : la mensualité du prêt contracté par le preneur du bail d’une part, et le paiement d’une redevance pour le droit d’usage, ou droit réel, (sur toute la durée du bail) d’autre part. La littérature a déjà largement mis en évidence son effet sur la solvabilisation des ménages.

En cela, il s’inscrit dans une évolution sociétale majeure des manières de consommer. Du téléphone à la voiture, les locations de plus ou moins longue durée (ici du droit réel) se sont inscrites dans les comportements d’achat. Le forfait empêche les mauvaises surprises, et les surcoûts ponctuels qui rythment le quotidien des propriétaires. Par ailleurs, l’évolution des modes d’habiter (mobilité résidentielle accrue, absence de patrimoine foncier familial, etc.) conduit à un phénomène de séquencement des parcours résidentiels, avec de plus en plus souvent un premier achat destiné à une occupation d’une durée relativement courte et réduit l’attachement à la terre.

Dans une société où le bénéfice de l’usage surpasse celui de la pleine propriété, résumer le BRS à une dissociation du foncier et du bâti est en revanche contre-productif. Premièrement car les opérations portées par un Organisme Foncier Solidaire (OFS) aboutissent généralement à la production de logements collectifs (où la propriété foncière s’arrête à l’aspect juridique). Deuxièmement, car sur des opérations individuelles, l’occupant se trouve en situation de jouissance exclusive du terrain qu’il occupe, dans les mêmes conditions d’usage qu’un propriétaire plein et entier (dans le respect des termes du bail). Bénéficier d’un logement moins cher, dans ces conditions, est donc un argument rationnel pour les ménages qui ne seraient pas solvables pour un produit équivalent sur un même secteur.

Le BRS, un rôle majeur à jouer dans la chaîne de l’action publique en faveur du logement ?

Produire moins cher ne suffit pas, et ne répond pas aux besoins de nombreux territoires, notamment ceux connaissant une valorisation modérée de l’immobilier.

Le BRS fait pleinement écho à cette formule que nous martelons fréquemment auprès des territoires : un produit abordable n’est pas qu’un produit moins cher En effet, le logement abordable doit être considéré au travers d’un triptyque intégrant son prix, sa qualité et sa localisation.

Ainsi, l’objectif peut (doit) être d’apporter une solution face à une forme « d’accession sociale de fait » qui consiste à s’éloigner toujours plus des secteurs centraux valorisés ou s’orienter vers des biens de piètre qualité, thermique notamment. En proposant aux ménages candidats à la propriété des produits confortables, notamment en termes de surface, pour un budget équivalent, le BRS évite le report vers des secteurs moins bien structurés contribuant in fine au phénomène d’étalement urbain et d’allongement kilométrique des migrations pendulaires.

Si la maîtrise des prix constitue un enjeu crucial dans les territoires urbains, et/ou très tendus, le dispositif n’en demeure pas moins pertinent sur des territoires moins cotés.

La désaffection d’une partie de l’offre et notamment de l’habitat ancien sur certains centres de villes moyennes, aujourd’hui placés sous le stéthoscope de l’Etat (Action Cœur de Ville et Petites Villes de Demain), est à la fois la cause et la conséquence de la difficulté de mobiliser des logements « hors marché », vacants, et nécessitant de lourds travaux de réhabilitation. Dans ces conditions, l’achat d’un logement ancien même à bas coût ne constitue pas un acte rationnel lorsque ce produit (même rénové), demeure aussi (voire plus) cher, moins confortable en l’absence d’espaces extérieurs, de stationnement qu’un logement plus récent. Le BRS constitue donc une opportunité forte de réinvestissement et de rénovation des centres-anciens. Il permet d’amortir les surcoûts liés à l’intervention sur des opérations complexes/coûteuses par un portage sur le temps long d’une partie des travaux de rénovation rendant le coût final supportable par le propriétaire preneur du bail.

Un outil au service de l’efficience des investissements publics

Le Bail Réel Solidaire (BRS), présente enfin plusieurs avantages par rapport à ses prédécesseurs et notamment le Prêt Social Location-Accession (PSLA), dont les effets d’aubaine (la possibilité de revente à prix déplafonné après une (courte) période de clause anti-spéculative) le rendent plus difficile à porter politiquement. La revente d’un logement en BRS, à un prix encadré, a pour conséquence de « recharger » le bail de sa durée initiale et de garantir sur le long terme l’accessibilité économique et sociale du logement. Ainsi, il apporte une pérennité des financements publics engagés, ce qui constitue un intérêt majeur dans un contexte de transparence et de recherche d’efficience des finances locales.

Aujourd’hui, nombreuses sont les collectivités locales qui s’impliquent dans la réflexion autour de la mise en place d’un Organisme Foncier Solidaire (OFS) sur leur territoire, qu’il soit porté par un OPH (Office Public de l’Habitat), une SEM (Société d’Economie Mixte), un EPF (Etablissement Public Foncier) ou une structure adhoc. Toutefois, le positionner sous le seul angle d’attaque du coût du logement ne suffit pas à construire une politique publique, dans la mesure où il s’agit aussi et surtout d’un outil puissant à mettre au service d’une politique de mixité sociale et/ou de réinvestissement du parc de logements (privés ou sociaux) ancien, tout en pérennisant les investissements réalisés. Le Bail Réel Solidaire participe ainsi à sa façon et à son échelle à une plus grande sobriété territoriale.

Fabien GUYOT