Philippe Gargov est le fondateur de Pop-up Urbain, cabinet de prospective urbaine fondé en 2010. Il a notamment collaboré avec Citadia et Aire Publique sur le projet « Réinventer le centre-ville de Châlons-en-Champagne ».
Quelle place accorder à la prospective, dans un monde où le futur semble être toujours plus insaisissable ? Ou pour poser la question plus crûment : quel crédit donner à la prospective, dont le demi-siècle passé montre bien qu’elle s’est souvent laissée submerger par la vitesse avec laquelle le monde évolue ? Nouvelles technologies, nouveaux usages, nouveaux modèles économiques : au cours des quinze-vingt dernières années, rares sont les mutations à avoir été anticipées par les « futurologues ». Et c’est d’autant plus vrai quand il s’agit d’urbanisme, probablement le domaine où cette accélération du futur est la plus concrète – et donc la plus glissante.
L’incapacité des prospectivistes à produire une vision assurément pertinente de la ville de demain, c’est-à-dire pleinement incarnable dans le réel urbain et non pas hors-sol comme c’est malheureusement souvent le cas, est un bon indicateur de cette « panne d’imaginaires » qui touche la discipline.
Mais est-ce bien une surprise ? La fabrique de la ville implique de croiser des échelles et temporalités bien différentes, de concilier la puissance contextuelle de ce qui est (nature, paysage, site, quartier, ville), les pratiques du quotidien et les exigences de ce qui vient (le futur). Cette nécessaire imbrication du temps (très) court et du temps (très) long est l’alpha et l’Omega des urbanistes, mais la prospective, qui a longtemps préféré regarder loin devant quitte à se laisser happer par les sirènes de l’innovation incertaine, a eu tendance à oublier que le futur se construit ici et maintenant. Aujourd’hui la discipline se cherche, cherche ses méthodes et ses formats, et plus généralement sa place dans les métiers de l’urbain. Et c’est auprès des urbanistes qu’ils trouvent souvent les meilleures réponses. Forts de leurs expériences pour penser le temps long, les urbanistes font de la prospective. Mais l’inverse est-il vrai ? Autrement dit, que peuvent apporter aux urbanistes les prospectivistes ? Ou question plus brutale : à quoi sert la prospective dans la conception de la ville de demain ? La discipline a-t-elle sa place dans un domaine qui a depuis longtemps appris à se passer des lubies technologisantes de la prospective-à-papa ?
Nous qui avons la prétention de faire de la « prospective urbaine », sommes convaincus de notre utilité aux côtés des urbanistes, mais la remise en question évoquée au fil de ces lignes, que l’on perçoit au quotidien dans notre veille ou nos terrains, est précisément une invitation à repenser nos méthodes et métiers, à les ancrer dans le concret plutôt que dans des scénarios déconnectés du réel. Elle est aussi, plus généralement, une invitation à faire montre d’humilité face aux futurs de la ville, et à admettre que notre place est dans un collectif.
Humilité, donc, mais pas mise en retrait. Car nous ne savons que trop bien ce que la prospective peut apporter à l’urbanisme : une vision des dynamiques et des écosystèmes parfois difficiles à appréhender quand on a l’œil trop focalisé sur le lieu et le présent, bercé par les injonctions des élus et des acteurs de l’immédiat. C’est cette modeste brique que nous tentons d’apporter dans nos missions, aux côtés de Citadia et d’autres : agitateurs solidaires.
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