Article rédigé par Quentin Roux

Changements d’usages, mutations des espaces urbains, reconversion de bâtiments … le tissu urbain est en constante évolution. Des interstices y apparaissent et disparaissent, des bâtiments sont détruits ou abandonnés, alors que d’autres naissent. La fonction attribuée initialement aux constructions ou aux espaces tombe en désuétude, et de nouveaux usages émergents, tel un cycle.

Or à l’échelle de temps des villes, les bâtiments sont éphémères. « Je pense que rien n’est jamais pérenne, il s’agit d’une vision d’architecte que de croire que l’on construit pour l’éternité » (P.Bouchain).

La ville contemporaine influe sur sa morphologie urbaine telle une machine à produire des vides, des espaces libres de tout usage, comme abandonnés à leur sort. Pourtant, leur présence interroge les processus qui les ont fabriqués. La production interstitielle résulte ainsi d’un triple mécanisme : d’une part, du processus d’évolution des sociétés urbaines et des systèmes de production qui sont régis par des dynamiques économiques, sociales et spatiales. D’autre part, par les choix d’urbanisation qui favorisent, depuis plusieurs décennies, le morcellement de la ville par l’implantation d’infrastructures routières et la production de nouvelles formes bâties. Et pour finir, la réglementation, qui détient une part non négligeable dans la production de ces espaces résiduels.

La désindustrialisation et les crises, un des premiers facteurs de création de vides urbains

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Les XIXe et XXe siècles voient apparaître, à la périphérie des villes, des groupes industriels, des casernes, des manufactures destinées à la production de masse, au commerce et à la défense du territoire. Au fur et à mesure des décennies, les villes s’étendent et englobent peu à peu ces activités lourdes, qui se retrouvent souvent entourées par l’urbanisation et les quartiers nouveaux des villes.

Les années 1970 marquent également le début d’un bouleversement : une recomposition du système productif est engagée et, avec elle la fermeture et le déménagement d’entreprises et de manufactures.

Entre 1980 et 2007, l’industrie française perd 36% de ses effectifs, soit 1,9 millions d’emplois, laissant place à des millions d’hectares de friches industrielles polluées, une profusion de bâtiments abandonnés, fantômes du passé prospère des Trente Glorieuses.

Le processus d’apparition des friches industrielles correspond à une baisse d’intérêt sociétal et de rentabilité économique dans les anciennes régions industrialisées des secteurs de production, au profit du tertiaire. Les collectivités publiques se questionnent sur les éventuelles mutations de ces espaces, mais se heurtent à des coûts de dépollution faramineux et à un marché ne pouvant plus en absorber le surnombre.

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Les délaissés des aménagements et de l’urbanisation

Une grande partie des vides constatés naissent de l’entrecroisement de trois structures géométriquement différentes :

  • Les projets d’aménagement contemporains, généralement auréolaires,
  • La trame agricole, le plus souvent géométrique,
  • La voie rapide avec ses grands rayons de courbure, découpant le territoire tel lame, faisant fi de toute réalité territoriale.

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Afin de gérer leurs territoires, les collectivités élaborent des stratégies urbaines capables de répondre aux besoins de leurs habitants. Cependant, une fois appliquée sur un terrain, celles-ci génèrent des délaissés d’aménagement ayant des origines bien précises.

Tout d’abord, les infrastructures routières, qui sont à l’origine des délaissés de voiries, liés aux marges de recul imposées par les normes nationales ou européennes. Sur ces voies rapides, les voitures traversent les paysages et les territoires à vitesse constante, sans souci de toute contrainte spatiale. Cette prouesse (il faut l’avouer) n’est possible que par la construction de nombreux ouvrages techniques (ouvrages d’art, échangeurs, …) qui génèrent en conséquence, de nombreux espaces interstitiels : accotements, fossés, terrassements, dépendances vertes, voies abandonnées, …

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« L’infrastructure routière est un ouvrage d’une perfection propre si l’on considère la constance de ses caractéristiques géométriques et la qualité de réalisation de sa chaussée. Ce caractère parfait fait ressortir d’autant plus les malfaçons qu’elle engendre, particulièrement sur les premiers plans : terrassements bruts par rapport à la morphologie du site, difficultés de cicatrisation végétale, ouvertures de carrières, création d’aires de fabrication, délaissés routiers non traités » (CETE Ouest).

Cette relative perfection, relevant plutôt de l’optimisation autoroutière, laisse derrière elle un grand nombre de lambeaux de terres, parsemant ainsi les bords des voies. Cette rupture dans les territoires forme néanmoins des continuums écologiques par le biais des haies végétales anti-bruit des abords d’autoroutes. Elles permettent la mise en place d’écosystèmes aux chaînes trophiques adaptées aux conditions spécifiques proposées par ces infrastructures.

L’urbanisation contemporaine favorise également le vide dans les villes, à la fois par les choix de constructions extensives, sous la forme de zones pavillonnaires, mais aussi par les collectifs modernes, qui ont bouleversé la morphologie traditionnelle de nombreuses villes. Dans les centres villes et les quartiers faubouriens, les constructions se caractérisent par un front bâti situé en limite de parcelle. Cette continuité imposée par les formes traditionnelles est ponctuellement rompue par des bâtiments plus modernes. Généralement plus hauts, leurs fronts bâti laissent place à des espaces d’agréments dégradés, rarement pratiqués par les résidents. Ces principes d’aménagement reprennent les idées développées par le mouvement fonctionnaliste et la charte d’Athènes, en privilégiant la hauteur de bâtiments géométriques pour dégager l’espace au sol, en rupture totale avec les morphologies du passé.

« Celui qui préfère faire table rase du passé plutôt que le transmettre est celui qui a fait une faute. Le criminel essaie d’effacer toute trace de son forfait et ne veut surtout pas qu’on le retrouve. Cette attitude est problématique sur le plan de l’histoire de la ville car on détruit, on élimine au lieu de considérer que tout peut servir, se recycler et se transformer » (P.Bouchain).

Partant d’une idée ingénieuse, ces espaces sont souvent peu utiles pour les habitants du collectif et du quartier. Ils deviennent ainsi des espaces d’ornements intouchables, des espaces stérilisés.

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Le chapitre 1 est consultable ici

Le chapitre 3 sera consacré à la réappropriation des interstices urbains et aux nouveaux usages sociaux-environnementaux