A la fin de l’année 2005, la fierté et la joie ont frappé à la porte de Citadia : de sa sacoche en skaï, le facteur a extirpé un magnifique diplôme aux couleurs de la France et signé de la main reconnaissante du Ministre des PME du Commerce, de l’Artisanat et des, Professions Libérales, Renaud Dutreil. Sans s’être jamais manifesté, sans jamais avoir concouru, Citadia venait d’être désignée « Gazelle de l’Economie Française » et d’entrer dans le club (subsaharien, déjà un indice) des 2000 PME les plus dynamiques et prometteuses de France.

Pourquoi ? Parce que l’année précédente, nous avions eu la glorieuse insolence en ces temps –déjà- de crise, d’embaucher massivement et de doper notre chiffre d’affaire en conséquence.

A la clef, des promesses de soutien, d’accompagnement, de financement. Toutes les administrations de l’économie et de l’emploi devaient être à notre écoute, tous les partenaires sociaux et financiers allaient nous proposer des solutions pour amplifier notre développement, et toutes les collectivités allaient s’intéresser à notre agilité économique.

A peine avions nous eu le temps de nous remettre du fol étourdissement que constituait cette nouvelle, que –toujours par voie postale- Monsieur Dutreil, toujours Ministre, nous adressait un nouveau diplôme encore plus riche en enluminures. C’était la consécration.

En ce début d’année 2006, Citadia venait d’être désignée pour la 2ème année consécutive, « Gazelle de l’Economie Française ». Le courrier d’accompagnement nous apprenait que nous entrions dans le club très fermé des moteurs véritables de la croissance de l’économie française, celui des entrepreneurs dotés à parts égales d’inconscience et de « cojones », celui des animaux aussi véloces que fragiles, bref des gazelles…

Au passage, on nous assurait double ration de gratification : mesures fiscales et sociales adaptées, capital-investissement et taux préférentiels, offres spéciales des partenaires (France Telecom, compagnies d’assurance etc)…

 Le cœur gonflé et ivres de projets, nous avons attendu la déferlante de sollicitations, les différés fiscaux, l’argent pas cher et la gloire locale.

 Oui mais voilà, Monsieur Dutreil ne s’est plus jamais manifesté, ni personne d’ailleurs : ni les banques, ni les business angels… Enfin, si.

Devenus double « Gazelle de l’Economie Française », nous avons été harcelés par tous les marchands du temple, objet de convoitise de tous les escrocs, et surtout, très vite, nous avons eu des nouvelles de l’administration…

 Cette mésaventure est pleine d’enseignements :

  • L’Etat a carbonisé un budget aussi massif que précieux dans ce dispositif qui était destiné à soutenir l’emploi et la croissance,
  • Pour Citadia, PME à forte valeur-ajoutée sociale (emploi) et à faible plus-value (finance), ce dispositif  s’est avéré totalement inopérant ; révélant par la même que seul l’argent attire l’argent,
  • Citadia a continué –seule- son parcours de « gazelle » dans les plaines arides de l’initiative économique, autofinançant son développement et comptant sur ses seules ressources : la qualité et la détermination de ses collaborateurs.

 Aujourd’hui, les PME sont à nouveau sous les projecteurs des candidats à l’élection présidentielle. Avec le lot habituel de vieilles rengaines : des promesses à moyen terme (allègements de charges, simplifications…) contre des engagements à court terme (responsabilité sociale et sociétale via une notation – !-, suppression de certains dispositifs…).

Autrement dit, tondre la gazelle –un animal à poil ras- avant de lui ôter ses entraves.

Pourtant, à lire les économistes distingués de l’observation conjoncturelle, les PME mobilisant les professions intellectuelles supérieures, les boites de matière grise, en ce qui nous concerne « l’intelligence des territoires », sont les meilleurs gisements d’emplois pour les années à venir.

Gisements à forte valeur ajoutée sociétale et par nature non-délocalisables.

Donc, insolents et graves à la fois, crions tous ensemble cette question : n’est-il pas enfin temps de justement considérer les Gazelles ?

Pas par l’application d’accessoires ou recettes inadaptés qui contrarieraient leur nature (capital-risque, surveillance par la notation…).

Plutôt en garantissant leur sécurité : en aplanissant (simplification, guichet unique etc) et clôturant (moyens de sauvegarde, lutte contre la concurrence déloyale etc) enfin le terrain.

Désolé, mais il semble bien que l’obscure grotte technopolitique soit sans écho, même quand la campagne bat son plein.

Welcome to the jungle.

Julien Meyrignac