L’été 2022 marquera clairement un tournant dans la relation de la société à l’eau. Les évènements extrêmes qui ont eu lieu (sécheresse, inondations soudaines…) ont mis fin à la croyance ancrée d’une disponibilité infinie de l’eau et de sa maîtrise absolue, en toutes circonstances.

Une ressource épuisée à se partager

De nombreux acteurs locaux, décideurs, mais aussi citoyens ont pris conscience de la réalité des effets du dérèglement climatique, amplifiés par les choix de gestion effectués depuis plusieurs décennies qui impactent la ressource, sa disponibilité, et au final le grand cycle de l’eau dans son ensemble. Si l’organisation de la gestion de l’eau n’est pas un sujet nouveau, aujourd’hui la société est confrontée à une nouvelle difficulté : le partage d’une ressource épuisée. En effet, la sécheresse estivale a mis en exergue la dépendance à l’eau à tous les échelons des territoires : arrêt de certaines productions industrielles, production d’électricité ralentie (hydroélectricité ou refroidissement des centrales nucléaires), perte alimentaire (interdiction d’irriguer), développement accru des feux de forêt et des étiages extrêmes mettant en péril des écosystèmes entiers… Tout cela, laissant poindre des conflits d’usages majeurs, dès lors que la priorité d’un usage sur l’autre doit être arbitré

Conséquences de la sécheresse, des inondations plus fréquentes

En parallèle, des phénomènes de pluies intenses et subites ont mis les territoires face à la nécessité de gérer le « trop d’eau » alors que les sols, asséchés, n’étaient plus en mesure d’absorber les volumes habituels. Les limites de la gestion par les infrastructures grises ont été révélées, et les zones que l’on pensait jusqu’alors épargnées, « jamais inondées », ont été submergées.

Ainsi, il est devenu évident que la gestion de l’eau n’est plus un sujet parmi d’autres, mais un enjeu systémique, globalisé qui impacte l’ensemble des pans du fonctionnement des sociétés. Et avec ce constat, la fin d’une gestion uniquement infrastructurelle, particulièrement couteuse, s’impose. Un changement de paradigme, devient maintenant acceptable face aux défis dorénavant conscientisés. D’ailleurs, le gouvernement a fait de la gestion de l’eau son premier chantier de planification écologique.

Une gouvernance complexe qui doit être repensée et territorialisée pour un pilotage intégré de la ressource

La gouvernance de l’eau reste aujourd’hui complexe et peu lisible, avec une stratification des échelles d’intervention (communales, intercommunales, bassin versant…), des champs de compétences sectorisés (adduction, épuration, irrigation, inondation, milieux naturels…) et des outils de gestion (Plan de gestion des étiages, contrat de bassin, schéma d’aménagement et de gestion des eaux…). Les outils de gouvernance locaux susceptibles de pouvoir mettre en place une approche holistique pourraient être les Commissions Locales de l’Eau, permettant une approche plus territorialisée et opérationnelle toutefois elles ne couvrent aujourd’hui qu’environ 50% du territoire français. Une gouvernance efficace de ce type devrait donc être déployée sur l’ensemble du territoire français, y compris les territoires ultramarins qui connaissent des phénomènes climatiques exacerbés et des problématiques spécifiques. Pourquoi attendre que les territoires entrent en tension pour mettre en place les outils nécessaires ? La prévention devrait guider l’action publique.

Des outils à déployer

Les territoires les plus volontaristes (et souvent les plus aisés) s’engagent dans des études spécifiques telles que les Schémas Directeurs d’Alimentation en Eau Potable, des études ciblées dites « besoins-ressources », des Schémas d’aménagement et de gestion des eaux ou encore des Projets de Territoires pour la Gestion de l’Eau (PTGE). Ces derniers, aujourd’hui mobilisés principalement et quasiment exclusivement dans les territoires déjà tendus, semblent particulièrement intéressants puisqu’ils permettent d’établir le diagnostic besoins-ressources, et coconstruire un réel plan d’actions, budgétisé, en vue de pérenniser l’équilibre. Son objectif temporel conseillé est de 2-3 ans ce qui permet un suivi de la situation et une adaptation des solutions en continue. Bien que l’Instruction du Gouvernement du 7 mai 2019 vise à encourager en métropole les PTGE, force est de constater que leur déploiement n’est pas encore à la hauteur des enjeux. Autre intérêt du PTGE, ils intègrent l’ensemble des usages et leurs représentants dans les discussions. L’élaboration et le suivi collégial de ce dernier permettra alors une priorisation partagée des usages (non sans difficulté). Toutefois, là encore, cet outil n’est que partiel et mériterait d’être élargi à l’ensemble des questions de gestion de l’eau, y compris les risques, à l’instar de la promesse de la politique GEMAPI qui peine à trouver sa place.

Une nécessaire planification intégrée et solidaire de l’eau pour actionner tous les leviers

Les tensions autour de la ressource en eau rendent aujourd’hui essentielle une planification globale et transversale pour une appréhension totale de la complexité du sujet. Les solidarités entre territoires, mais aussi entre usagers, seront les clés de voute pour relever ce défi.

A l’instar des documents de planification, du Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) au plan local d’urbanisme, la gestion de l’eau doit pouvoir être gérée du Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eau (SDAGE) jusqu’à la parcelle. En effet, les documents d’urbanisme permettent une approche territorialisée et transversale des sujets, ce qui offre la possibilité de traiter la question de l’eau dans toutes ses dimensions et avec l’ensemble des interrelations qu’elle entretient avec les volets démographiques, économiques, sociaux, écologiques…

De l’infrastructure grise à l’infrastructure verte

Le changement de modèle, des infrastructures grises vers des infrastructures vertes devra intégrer les réflexions dans l’aménagement du territoire. Ainsi, les solutions fondées sur la nature devront être mobilisées pour ne plus aller contre, contraindre le cycle de l’eau, mais accompagner le cycle naturel. Là aussi, se pose la question de notre capacité à faire autrement. Les ingénieurs formés aujourd’hui, sont-ils en mesure de privilégier les solutions de génie écologique, plus intégrées, pour n’envisager le génie civil qu’en dernier recours ?

La ressource en eau, élément central de l’aménagement du territoire ?

Un changement profond est nécessaire, puisqu’il est impératif (à court terme) de faire de l’eau, non pas une des composantes à traiter au sein des projets de territoire, mais bien la porte d’entrée conditionnant le devenir de celui-ci.

Mais comment mener à bien cette mission dès lors que la gouvernance complexifie l’approche, jusque dans l’accès à une donnée suffisamment homogène et consolidée pour être valorisée, voire même lorsque l’existence de la donnée n’est pas assurée. Il n’est pas rare aujourd’hui de voir des documents d’urbanisme ou des stratégies territoriales émerger, affichant des objectifs de croissance, démographiques ou encore en termes d’habitat ou économique, sans que la disponibilité actuelle, et encore moins future, de la ressource ne soit précisément connue. Cette dernière devra-t-elle nous conduire à accepter de renoncer au développement d’un territoire du fait d’une inadéquation du projet avec ses capacités à répondre à ses besoins en eau ? Ou du fait des impacts que cette trajectoire peut avoir en termes de conditions pour la vie aquatique, pour les risques générés en aval, etc… ?

Dans tous les cas, la décorrélation entre l’aménagement des territoires et les capacités d’accès à l’eau n’est plus soutenable. A l’aune d’une situation comparable à cette année, qui n’est que l’amorce de ce qui se reproduira à des fréquences de plus en plus régulières, nous ne pourrons plus dire : Ça n’est jamais arrivé !

Roxane Benedetti