La crise sanitaire, les tragiques inondations dans les Alpes-Maritimes, l’acceptation des dynamiques de densification des espaces urbanisés, les effets du dérèglement climatique qui se font de plus en plus ressentir, l’objectif de Zéro Artificialisation Nette du Plan Biodiversité… Chacun de ces phénomènes ou évènements, mais encore plus leur cumul, a mené aujourd’hui à un consensus sociétal sur la nécessité de désimperméabiliser et végétaliser les zones urbaines, notamment les plus denses, pour retrouver un équilibre plus vivable pour les habitants, voire même plus accueillant, plus désirable. Mais au-delà de la qualité du cadre de vie, ce sont également l’ensemble des autres bénéfices et services écosystémiques que prodigue la nature en ville qui sont recherchés.
De nombreuses villes se sont ainsi saisies de cet enjeu et se lancent dans la végétalisation, parfois en cherchant à planter à tout-va le moindre interstice urbain. Mais pour que cette dynamique porte réellement les fruits attendus sur le long terme, plus qu’un effet de mode sous l’urgence climatique, elle doit s’ancrer profondément dans les pratiques, les habitudes, les fondements de toute action d’aménagement du territoire. L’urgence étant rarement bonne conseillère, il s’agit aujourd’hui d’éviter le piège du vite fait, mal fait !
Végétaliser oui, mais de manière réfléchie au regard du contexte et des objectifs
La végétalisation n’est pas une course au nombre d’arbres plantés, malgré ce que pourraient faire penser les projets de forêts urbaines qui émergent, affichant des surenchères de plantation qui se comptent en milliers d’arbres. A l’instar des projets urbains, chaque action de végétalisation doit être pensée au regard du contexte local, à l’échelle du site et de son environnement. Le type de végétaux, les modalités de végétalisation (en pleine terre, en bac, sur façade…) doivent être précisément étudiés au regard des contraintes (techniques, d’usages…) en présence, sous peine de générer des aberrations écologiques et urbaines. Chacun a en tête un (des ?) exemple d’alignement d’arbres morts sitôt plantés, ou encore des toitures végétalisées qui n’en ont que le nom, du fait de mauvaises conditions d’implantation ou du non-respect des besoins des espèces choisies. A une autre échelle, on a pu voir aussi récemment l’exemple de la forêt verticale de Chengdu, transposition mal adaptée du Bosco de Milan, désertée par ses habitants, à cause d’une végétation qui se développe de manière incontrôlée du fait d’un climat particulièrement propice, et qui se révèle en revanche particulièrement accueillante pour les insectes, et notamment les moustiques, potentiellement vecteurs de maladies… Comme toute politique d’aménagement du territoire, la végétalisation doit être pensée de manière contextualisée.
La végétalisation doit également être pensée au regard des objectifs recherchés. Là encore, on peut être tenté de ne voir la végétalisation que par la plantation d’arbres de haute tige ou la (re)création d’espaces naturels, qui rendent la végétalisation rapidement très concrète visuellement, et apportent effectivement des bénéfices environnementaux et sanitaires importants. Toutefois, des actions plus modestes peuvent tout autant apporter une réponse partielle efficace selon l’enjeu considéré, notamment lorsqu’elles sont mises en réseau avec les autres espaces de nature et qu’elles constituent alors une réponse globale.
Un réel investissement à penser en coût global
Alors qu’aujourd’hui, dans tous les pans de la société, le contexte socio-économique nous pousse à maximiser à outrance les rapports bénéfices/coûts (voire à ne considérer que ce qui est gratuit), le coût de la végétalisation doit être bien appréhendé pour garantir la pérennité de cette politique. Bien que les bénéfices écosystémiques associés à la nature en ville soient en effet gratuits et permettent de compenser d’autres dépenses conséquentes (notamment sur les coûts d’infrastructures de gestion des eaux pluviales, des politiques de santé…) une politique de végétalisation durable et efficace entraîne un coût réel significatif. En effet, il ne suffit pas de considérer uniquement les coûts d’investissement pour la mise en place des aménagements et dispositifs ; une végétalisation réussie nécessite en effet que la collectivité soit consciente et prête/en capacité à investir également au travers de son budget de fonctionnement pour assurer l’entretien de cette nature en ville, même si l’on conçoit aujourd’hui des espaces verts nécessitant moins d’entretien, moins d’arrosage, etc. Dans le cas contraire, on assistera plutôt au développement d’espaces verts en jachères, de jardinières reconverties en poubelles ou cendriers, et donc à une dépense publique vaine.
Pour alléger cette charge et donner accès à certains citadins à un espace de verdure dont ils pourraient en tirer les bénéfices, plusieurs villes ont développé des permis de végétaliser. Ce dispositif permet aux citoyens de se saisir de l’espace public pour végétaliser leur cadre de vie. Mais là encore, force est de constater que la majorité des sites, passé l’attrait de la nouveauté, n’ont pas été entretenus par les particuliers et ont majoritairement été abandonnés après découragement ou désintérêt. Sur ce modèle, seuls les jardins familiaux semblent fonctionner : est-ce l’effet d’une garantie du retour sur investissement (récolte du fruit du labeur), ou de l’individualisation de l’espace cultivé (qui limite les possibilités de dégradation) ? Toujours est-il que cette solution semble pertinente à développer, encore faut-il disposer du foncier nécessaire pour pouvoir créer ces espaces d’agriculture vivrière urbaine et de proximité.
Si l’on se penche sur les actions de végétalisation portées par le secteur privé, souvent contraint par des règles d’urbanisme imposant un coefficient de biotope, on s’aperçoit que le frein se présente dès la phase d’investissement. Dès lors que la végétalisation hors-sol doit être envisagée, les coûts à engager sont souvent trop importants et obèrent le projet, ou les dispositifs mis en place sont de piètre qualité et l’on retrouve alors nos toitures végétalisées vierges de toute verdure.
La nature en ville désirée mais pas toujours acceptée
La nature en ville est toujours présentée et perçue comme un jardin d’Eden, majoritairement végétal, bien ordonné, propre, accueillant… parfait. Dans les faits, la nature vit, évolue, est habitée d’un cortège d’espèces animales. Tout cela doit également être pensé en amont de la végétalisation, mais surtout accepté, notamment par les habitants qui devront s’accommoder des feuilles mortes sur les trottoirs en automne, l’arrivée des insectes au printemps, voire de certaines espèces plus imposantes qui viendront s’aventurer peut-être même dans certains quartiers, les herbes folles sur certains espaces… Car l’un des objectifs majeurs est bien la préservation et le développement de la biodiversité, notamment à l’appui d’une gestion différenciée qui tranche avec les aménagements au cordeau qui induisaient une maîtrise excessive de la nature, la rendant dans le même temps toujours plus stérile. La collectivité doit en être consciente, mais doit aussi préparer ses habitants à retrouver en pleine ville ces bouts de nature vivante.
La végétalisation ne peut donc se faire sans un réel engagement volontariste, et des moyens financiers et humains.
Végétalisation / densification : un travail d’orfèvre
Face aux injonctions de densification, et encore plus depuis les objectifs de Zéro Artificialisation Nette, la question de la place de la nature en ville est légitime. Chacun (ou du moins une majorité) est conscient de la nécessité de densifier pour protéger les espaces agricoles et naturels des territoires, mais est aussi persuadé de la nécessité de préserver une trame verte urbaine solide. Entre les deux, nos cœurs balancent souvent lors des exercices de prospective urbaine. La difficulté est bien de ne pas choisir mais de concevoir un savant mélange où les fonctions urbaines et écologiques trouvent leur place.
Or, le foncier devient une ressource précieuse, et se fait rare dans les centres urbains. Chaque espace de nature doit alors justifier d’un intérêt supérieur à la production de logement/la création d’emplois et servir des intérêts multifonctionnels pour optimiser l’aménagement et être acceptable. Et l’énoncé du problème se corse lorsqu’on y ajoute les sujets sous-tendus par le Zéro Artificialisation Nette et la compensation environnementale qui implique de renaturer certains espaces pour pouvoir autoriser les nouvelles urbanisations. Urbanistes, architectes, paysagistes et environnementalistes doivent donc travailler de concert pour résoudre efficacement ce dilemme. C’est une réelle stratégie de végétalisation qui doit être conçue de manière intégrée aux réflexions prospectives et de planification.
Toutefois, grâce à la difficulté de l’équation, nous sommes contraints de réfléchir et d’innover pour investir d’autres espaces et trouver d’autres modalités de végétalisation, comme par exemple les toitures, les façades, les pieds d’arbres, les garde-corps… On se rend alors compte que beaucoup d’autres espaces peuvent accueillir la végétalisation sans nécessairement grever de foncier supplémentaire. Et qu’il s’agit là encore de composer avec la diversité des solutions qui s’offrent à nous pour constituer un maillage de nature en ville.
La végétalisation des centres urbains doit donc être soutenue car elle est justifiée, indispensable et désirée. Néanmoins, il ne s’agit pas de se lancer à corps perdu dans cette entreprise, sous l’effet d’un choc post-traumatique sanitaire notamment. C’est une réelle stratégie opérationnelle qui doit être coconstruite intégrant la sensibilisation des citoyens, les modalités de financement dédiées à cette politique, l’identification des potentiels et des opportunités de végétalisation mis en regard avec les enjeux multifonctionnels à traiter, etc. C’est ainsi une politique transversale et multi-partenariale qui doit être engagée et portée politiquement de manière volontariste par les collectivités pour en assurer la réussite. C’est dans tous les cas l’ambition et la vision que nous portons au sein du Groupe CITADIA dans nos interventions auprès de nombreuses villes en France engagées dans des études de potentiel de végétalisation.
Enfin, est-il besoin de le dire, la végétalisation des villes n’est pas le remède à tous les maux urbains. Elle concoure à améliorer le confort thermique en ville mais doit être associée à des réflexions sur les formes urbaines et architecturales (entre autres), elle participe à une gestion plus naturelle des eaux pluviales mais n’y suffit bien évidemment pas, elle aide à l’absorption des polluants atmosphériques et des GES, mais ne saurait de substituer à des politiques volontaristes de mobilité alternatives, etc. Elle ne représente qu’une partie, certes non négligeable, de la réponse que les territoires peuvent apporter aux enjeux de transition écologique.
Roxane BENEDETTI
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