Alors que le Covid19 a semble-t-il révélé aux citoyens l’état du monde, chacun frénétiquement veut construire MAINTENANT le monde de demain dans lequel tout doit changer tout de suite. Posons-nous la question du : « pour en faire quoi ?! »

Tout un chacun a une bonne idée à avancer et apporte sa solution, plus écologique, plus verte, plus tactique, plus circulaire, plus sociale, plus rurale, plus démocratique…  Tout parait être à jeter, à détruire pour reconstruire autre chose !

Notre monde ne tourne certes pas tout à fait rond, mais avons-nous été tous collectivement aussi incompétents toutes ces années ? N’y a-t-il pas des choses à conserver ? Ne devons-nous pas nous poser les bonnes questions au lieu de s’imposer une « réincarnation » car la pression populaire nous le dicte ? Nous faut-il nous précipiter dans des directions qui paraissent superficiellement bonnes, sans évaluer les conséquences, les impacts, les changements plus profonds que cela implique ?

En tant qu’urbaniste, je ne vais pas me hasarder à refaire le monde, mais je vous propose de regarder dans notre rétroviseur pour construire ensemble la suite.

1/ Conserver et amplifier les bonnes pratiques déjà à l’œuvre

Au sein de CITADIA, avec notre filiale EVEN, nous travaillons depuis des années avec la ferme intention de limiter l’impact sur l’environnement, de préserver les paysages, de trouver un équilibre entre urbanisation et préservation des espaces agricoles et naturels, de maintenir de la vie dans les territoires ruraux, de revitaliser les cœurs de ville en proposant, toujours en concertation -avec notre filiale AIRE PUBLIQUE- des projets de territoire justes, singuliers répondant aux besoins des habitants et usagers.

Au-delà des concepts à la mode, qui resurgissent comme des solutions toutes faites en ces temps troublés, nous nous attachons depuis des années à pratiquer un urbanisme exigeant, qui s’interroge sur l’évolution des modes de vie et des rapports entre les villes et les territoires, pour construire des projets qui font sens : des projets partagés, qui replacent l’humain au centre des préoccupations, et ce malgré les pressions foncières, immobilières, économiques et environnementales.

Ces valeurs fondamentales, qui font partie de notre ADN, nous semblent toujours légitimes et au cœur de notre engagement.

2/ Adapter certains partis-pris

Cette crise inédite peut créer, et c’est sans doute l’un des seuls points positifs, une sorte d’électrochoc et redéfinir certaines priorités dans les manières d’appréhender l’habitat, la consommation, l’organisation du travail… Ces changements de pratiques et d’attentes doivent bousculer les urbanistes pour sortir des sentiers battus et trouver des solutions. La densité qui est un dogme depuis des années et qui est brandie par les services de l’Etat, s’attachant aux chiffres plus qu’à la qualité de vie, doit être pensée de manière plus qualitative pour trouver des réponses au plus près des modes de vie des futurs habitants. Autre sujet, qui est devenu depuis quelques mois le nouveau totem de la prospective territoriale, le ZAN (Zéro Artificialisation Nette) ne doit pas venir s’appliquer de manière purement comptable (ce qui pose par ailleurs un problème d’équité territoriale) mais doit s’inscrire dans une réalité économique et constituer une occasion unique de réfléchir à l’optimisation des zones d’activités, au réinvestissement des friches et à la désimperméabilisations des villes.

3/ Développer de nouvelles approches pour accompagner les changements de pratiques

Certaines mutations dans les pratiques de mobilités, de travail, de consommations, qui étaient, il faut bien le dire, déjà à l’œuvre vont sans doute être accentuées. Dans quelle proportion ? Personne ne le sait même si nous voyons fleurir, ici et là, des avis tranchés sur le monde d’après. Notre rôle est d’accompagner ces évolutions en ne pensant pas, par exemple, l’espace public pour assurer des distanciations sociales (comme certains y travaillent déjà) alors que depuis des années nous nous efforçons de recréer des lieux de rencontre au sein de nos villes, mais en réfléchissant à la manière dont nous pouvons construire les équilibres territoriaux de demain, inventer de nouveaux aménagements plus frugaux qui s’attachent à favoriser le lien social. Ces réflexions doivent nous amener à anticiper les mutations sur l’immobilier résidentiel et de bureau qui va devoir s’adapter aux nouvelles stratégies des entreprises et aux attentes des habitants.

Ne nous lançons pas tête baissée dans des solutions toutes faites comme l’urbanisme tactique (ou éphémère) qui sert à répondre rapidement à un besoin ou à tester des usages mais qui ne constitue qu’une étape dans le processus de fabrique de la ville et non pas la solution finale (repenser nos villes pour les vélos doit pouvoir être mis en place rapidement, mais il s’agira d’une première étape qui en appellera d’autres pour concrétiser cette politique). Par ailleurs, il sera nécessaire de penser globalement la structuration de nos filières locales notamment alimentaires pour assurer une réponse adéquate et massive à un retour au localisme qui va être de plus en plus prégnant et pour lequel la distribution devra être repensée. Tous ces sujets ne pourront être traités de manière identique à tous les territoires et les solutions devront être adaptées.

Enfin, il me semble que le travail des urbanistes demain n’aura de sens que si les décisions sont partagées entre les habitants, les élus et les acteurs des territoires. Vous me direz :  c’est déjà le cas, la concertation étant généralement obligatoire. Je pense néanmoins qu’elle s’arrête souvent à une information du public, plus rarement à une co-construction et presque jamais à un partage de prise de décision. Cette évolution me semble être une nécessité et il est de notre responsabilité de l’encourager pour la matérialiser dans l’objectif d’aménager la société tout autant que le territoire.

Timothée HUBSCHER