Par Timothée HUBSCHER

Le périurbain est un espace parfois difficile à cerner puisqu’il ne pose pas de limites claires entre l’espace urbain et le monde rural. Pour le dire autrement, c’est un espace en mouvement, issu du recul des territoires ruraux depuis 30/40 ans, qui s’est développé à cause d’une pression foncière résidentielle provoquée par la croissance et le desserrement des centres urbains. Le périurbain s’est donc construit sur le modèle d’une économie résidentielle, lui valant souvent le qualificatif de « cités/lotissements dortoirs » : ses habitants travaillent et consomment soit en ville, soit au sein de zones commerciales périphériques, ce qui provoque des espaces peu structurés (souvent monofonctionnels) et peu équipés en services, commerces et équipements, malgré une population croissante.

Ces espaces péri-urbains doivent donc aujourd’hui se structurer et jouer un rôle dans les pratiques de vie des habitants en valorisant notamment leur caractère productif. L’agriculture peut actionner ici un formidable axe de développement. En effet, contrairement à l’agriculture urbaine –  à l’heure actuelle circonscrite à une autoconsommation limitée – et aux industries agroalimentaires des campagnes, les territoires périurbains ont une carte intéressante à jouer. Leur localisation géographique permet l’installation d’exploitations favorables au maraîchage, à l’horticulture et au petit élevage qui répondent aux besoins directs des habitants des villes et favorisent les circuits courts. A titre d’exemple, au sein de la métropole lyonnaise, 40% des productions agricoles vendues dans la métropole proviennent de l’agriculture périurbaine lyonnaise alors qu’elle n’occupe que 10% des surfaces agricoles. Ces formes de production sont donc garantes d’une agriculture raisonnée et durable, en phase avec la protection environnementale et le maintien des paysages. Cette prise de conscience pose donc une série d’enjeux pour les collectivités et les aménageurs.

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Tout d’abord, il est nécessaire de résoudre le problème du foncier et de la spéculation immobilière et foncière : beaucoup d’exploitations en périphérie des villes souffrent d’une difficulté pour transmettre leur patrimoine agricole, ce qui provoque le rachat de leur terre par des promoteurs immobiliers quand les terrains sont classés en zone urbaine ou à urbaniser ou au profit de grandes exploitations (principe extensif) de plus en plus grandes. En témoigne l’augmentation importante des surfaces exploitées par exploitation.

La législation nationale, notamment avec la loi ALUR, incite les collectivités – malgré la persistance d’incohérences par exemple lorsqu’un agriculteur vend ses terres à un autre exploitant sans céder son habitation, le nouvel arrivant se retrouve dans une situation absurde puisqu’il est dans l’impossibilité de se construire une habitation, la loi l’interdisant s’il ne s’agit pas d’un élevage. Cette règle peut constituer un frein à l’installation de nouveaux agriculteurs – à protéger le patrimoine foncier productif contre les spéculations foncières. Les collectivités doivent se saisir des règles de leurs documents d’urbanisme pour favoriser l’implantation de nouvelles exploitations et de nouveaux types d’exploitation. Les urbanistes développent donc des modèles leur permettant d’analyser les réservoirs de foncier agricole pour aider les élus à prendre conscience de ces enjeux et mener une politique en phase avec les réalités du terrain.

En préservant les zones agricoles, les collectivités limitent les pressions sur le foncier et permettent aux agriculteurs d’anticiper plus sereinement la transmission de leur patrimoine. Ces transmissions favorisent l’accélération de la transition agricole vers des petites exploitations qui sont capables de diversifier leurs activités sur les espaces périurbains et de garantir une véritable complémentarité avec les centres urbains : vente de la production pour la restauration, les cantines scolaires, marchés etc.  A l’instar des pays nordiques comme le Danemark, la valeur foncière des zones agricoles pourra ainsi être relevée et permettra de les protéger davantage et de favoriser les implantations de nouvelles exploitations.

C’est un vrai défi pour les collectivités qui doivent faire une place plus grande à l’agriculture au cœur de leur projet urbain, car les bénéfices du développement de ces modes d’utilisation du sol à la ceinture des zones urbanisées sont de véritables opportunités pour les villes moyennes. La présence d’exploitants sur son territoire donne la garantie de faire vivre les marchés locaux et la possibilité de recréer de véritables espaces publics où se rencontrent producteurs et habitants, loin de l’anonymat des galeries commerciales. Les marchés redeviennent alors une manière de faire de la centralité urbaine : dans une ville moyenne, tous les commerces de proximité profitent des retombées d’un marché et favorisent la diversification des activités. Les exemples sont nombreux, comme dans l’agglomération de Chambéry Métropole Cœur des Bauges où les franges de l’agriculture périurbaine qui pénètrent le cœur urbain créent une situation inédite où 90% de la population est à moins de 10 minutes en voiture d’un point de vente directe.

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Ces transformations vont dans le sens de l’histoire car elles permettent de faire des espaces naturels et agricoles une des composantes de l’activité urbaine. Elles permettent d’éduquer les citadins aux enjeux du développement durable tout en créant de véritables respirations vertes au sein des villes. Certaines communes l’ont bien compris et ont d’ores et déjà mis en place des expériences très intéressantes. A Cournon-d’Auvergne, des vergers et des arbres fruitiers vont être installés dans les délaissés routiers et les parcs – en cueillette libre – et seront gérés à la fois par la ville mais aussi par les associations et les écoles, ce qui permet de créer une véritable gestion collective de l’espace public… Ces initiatives sont tout autant d’exemples qui permettent de redonner du sens à la notion de ville nourricière. Ces méthodes permettront également à long terme, et c’est à espérer, de réduire les incivilités qui frappent malheureusement aujourd’hui des petites exploitations situées aux abords directs des zones urbanisées (vols, arrachages sauvages des productions).

Il y a donc de formidables ressources à développer autour de l’agriculture périurbaine. Il ne s’agit toutefois pas de se contenter de reconstituer un patrimoine agricole au sein du tissu périurbain… Il faut surtout penser la fonctionnalité des exploitations pour garantir leur pérennité : au-delà du périmètre de réciprocité des exploitations il faut garantir une ouverture possible vers les champs (notamment pour l’élevage) à l’arrière des exploitations.

Penser l’agriculture en intelligence avec les modes de vie en ville, c’est là le défi qui attend les collectivités et leurs conseils.