Par Julien Bertrand, Anne Matysen & Christopher Rutherford
Les modes de vie des français ont changé devant l’impératif écologique. Il y a 20 ans, la perspective de trier et de faire recycler ne serait-ce que ses propres déchets ménagers était loin d’être acquise. Pourtant aujourd’hui, choisir entre le bac jaune, blanc ou vert est inscrit dans nos mœurs au même titre que d’aller chercher sa baguette chez le boulanger.
Mais on ne peut pas en dire autant en ce qui concerne la ville. Au-delà des déclarations de principes sur la ville durable et résiliente, les mentalités sont encore coincées 20 ans en arrière… Il y a pourtant urgence à promouvoir le recyclage de nos territoires !
Cachez ce foncier que je ne saurais voir…
Fabriquer une ville durable, c’est d’abord faire le pari du renouvellement urbain pour freiner l’étalement urbain. Pour arriver à construire une « ville sur la ville », l’une des solutions consiste à réutiliser le patrimoine bâti laissé à l’état de friche pour lui donner de nouveaux usages : activités productives, loisirs, logements etc.
Malheureusement les aménageurs ne sont pas suffisamment équipés pour répondre à ce défi. Car si d’un côté la législation les invite à réduire leur consommation foncière, de l’autre elle ne leur donne pas beaucoup d’outils pour y arriver. La loi est ainsi faite qu’elle n’a pas encore intégré la question de la réutilisation des sols déjà urbanisés et privilégie toujours la logique d’hyperconsommation des sols. On se retrouve dans la situation paradoxale où le propriétaire d’une friche ne sera pas incité à céder ou réinvestir son patrimoine, tandis que celui qui dispose d’un terrain constructible non bâti risque des pénalités fiscales s’il ne l’urbanise pas. Or c’est bien les friches qui devraient faire l’objet de toutes les attentions des pouvoirs publics : c’est là que les aménageurs ont le plus besoin de subventions en raison des coûts de réaménagement (dépollution, réaménagement du bâti) et c’est à cet endroit que peut se réinventer de nouvelles formes d’urbanité. Dans pareille situation, l’incitation « construire la ville sur la ville » ressemble un peu à un marché de dupes…
Pourtant des solutions existent même si elles sont encore expérimentales. En 2014 par exemple, l’Établissement Public Foncier d’Île-de-France (EPFIF) et la SEM Plaine Commune Développement créaient la « Foncière Commune », une société foncière qui a pour objectif de constituer des réserves immobilières sur le territoire de Plaine Commune en achetant notamment des terrains occupés par des activités industrielles ou logistiques en friches… Mais l’investissement public ne suffira pas à porter des opérations de reconversion, d’où l’importance de transformer la législation dans ce domaine pour inciter les opérateurs privés à collaborer plus activement.
Il y a donc urgence, d’autant que les exemples de friche reconverties en France comme à l’étranger, notamment aux Pays Bas ou en Angleterre, ne manquent pas pour se convaincre de la nécessité à recycler le patrimoine vacant…
Recycler pour mieux faire société
La mise en œuvre d’un projet de renouvellement est une chose, définir un programme urbain durable en est une autre. Reconstruire « la ville sur la ville » nous donne l’opportunité de faire autrement que par le passé, c’est-à-dire d’imagier une cité mixte équilibrant activités et l’habitat dans une nouvelle organisation spatiale… Comment concevoir en effet une ville agréable, mixte et écologiquement responsable, si une partie de notre consommation quotidienne nécessite de recourir aux camions et aux avions ?
Pourtant encore aujourd’hui de nombreux projets de revitalisation continuent de faire du logement la pièce centrale de leur programme. Certes, il s’y ajoute quasi systématiquement quelques éléments essentiels au dynamisme d’un nouveau quartier : équipements publics, petits commerces et services. Dans le meilleur des cas, les anciens silos et hangars industriels deviendront un lieu culturel ou une nouvelle pépinière d’entreprises pour startups de l’internet à l’image de la Halle Freyssinet ou de la Belle de Mai à Marseille… Mais alors quid des ouvriers et des artisans qui voient systématiquement leurs activités renvoyées à la périphérie des villes quand elles ne sont pas purement délocalisées à l’étranger…Ce schéma d’organisation consacre presque entièrement les centres-villes aux emplois hautement qualifiés. La ville du 21ème siècle ne doit pas oublier qu’il est un temps pas si lointain où elle savait elle-même « faire » et « répondre » aux besoins de ses habitants. D’autant plus que le décalage spatial entre lieu de production et lieu de vie entraine toute une série de problématiques que ce soit en termes de mobilité, de logistique, de sociabilité et plus simple d’écologie…
Bien sûr, il n’est pas question de faire revenir les aciéries ou les usines d’assemblages dans les centres-villes… Mais il n’est plus acceptable que l’artisan soit obligé de faire des dizaines de kilomètres pour trouver un local adapté à son activité, ou que le centre de recyclage d’appareils ménagers se trouve dans un autre pays… Les nouveaux outils de productions invitent à repenser une nouvelle forme de production brouillant les frontières entre artisanat et micro industrie. Grâce aux imprimantes 3D et autres techniques numériques, la production peut se réaliser au plus proche des lieux de consommation et en adéquation avec les besoins des utilisateurs. L’objectif pour la ville intelligente c’est donc de rompre avec le mono fonctionnalisme spatial et repenser son caractère productif autour des principes de l’économie circulaire et de la diversité des usages.
A ce titre, les friches urbaines sont un terrain d’expérimentation très intéressant pour penser une ville productive mêlant les usages. Trois principes d’actions méritent d’attirer l’attention des aménageurs pour renouveler efficacement et durablement nos centres urbains :
- « Penser un bâtiment multi-usage » : la question de la ville productive suppose notamment de repenser l’échelle des bâtiments. Créer des « immeubles multi mixtes », pouvant recevoir différentes fonctions tout en les rendant compatibles avec les usages différenciés qu’ils abritent. C’est-à-dire installer de petites activités productives ou de la logistique en rez-de-chaussée, installer des services tertiaires aux étages intermédiaires et du logement au dernier étage. L’exemple des « fablabs » (ateliers de fabrication et d’invention) qui se développent dans les grandes villes françaises est à ce titre très significatif des potentialités que représente ce nouveau modèle d’organisation spatiale qui permet d’ouvrir les édifices sur l’extérieur et assouplir la frontière ente le privé et le public.
- « Cultiver les villes » : Renouveler la ville, c’est assurer une place centrale à la nature. Mais les espaces verts ne doivent pas seulement être récréatifs, ils doivent être aussi productifs… Les progrès de l’agriculture sur les toits, dans les espaces publics ou sur les façades des bâtiments offrent des pistes intéressantes pour développer des réseaux locaux de petits producteurs tout autant que de sensibiliser les citadins à leur environnement.
- « La fin des zones commerciales » : L’urbanisme des années 1960 a produit de nombreuses zones d’activités et commerciales dont la dynamique repose sur les heures liées au travail et dont le taux d’emploi par ha est relativement dérisoire par rapport à celui des centres villes… Il y a donc tout intérêt à repenser ces espaces pour y implanter de l’habitat et des équipements publics afin de leur rendre une dimension sociale et humaine.
Réinventer la ville par acupuncture
Une fois que le programme est arrêté la mutation peut encore prendre du temps.… Aussi plutôt que de laisser le patrimoine vacant durant la phase de dépollution ou de conception du projet, des opérations d’urbanismes temporaires peuvent être mises en place dans la mesure du possible. A l’origine majoritairement anglo-saxonne, cette pratique aussi appelée « acupuncture urbaine », propose une vision de la ville plus agile et frugale, capable de s’adapter aux besoins évolutifs du territoire. En complément des réflexions des aménageurs, cette approche propose de donner l’opportunité à des associations et aux habitants de se réapproprier les sites en friches pour y implanter des activités de toutes sortes : culturelles, récréatives ou productives pour revitaliser des quartiers et accompagner la transformation de l’identité du lieu. Cette pratique est d’autant plus vertueuse qu’elle permet de recréer un véritable écosystème autour du projet urbain en promouvant le vivre ensemble…
A l’heure où les discours politiques prônent le développement durable et la démocratie participative, la reconversion des sites en friches associée au concours des habitants pour recréer de l’activité productive, est une manière de défendre le modèle d’une ville intelligente.
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