Par Julien Bertrand & Christopher Rutherford

Face au cauchemar…

Imaginez de parfaites vacances en Corse un plein mois de juin, peu de touristes sur les plages, le cadre idéal. Mais soudain à l’horizon les nuages s’assombrissent et un vent terrible commence à déchirer la mer… Oui vous ne rêvez pas, l’orage qui s’annonce a tous les traits d’une tempête tropicale. Dans quelques heures les cours d’eau vont déborder emportant avec eux votre pavillon de vacances loué sur Airbnb et toutes vos affaires.
Science-fiction ou anticipation apocalyptique ? Aucun des deux, c’est une réalité de plus en plus vécue sur les côtes méditerranéennes et plus encore sur l’île de Beauté. Depuis plusieurs années le territoire français est le théâtre des effets du changement climatique, qui interrogent la durabilité et la sécurité des aménagements humains… Ces effets ont été d’autant plus accentués du fait d’une urbanisation anarchique pratiquée dans les années 60. A l’époque, la pression foncière et l’absence de réflexion urbanistique à long terme ont favorisé l’installation d’habitations dans des zones à risques (sismiques, inondables etc). Les désastres provoqués par les inondations de 2015 dans les Alpes Maritimes à Antibes, Vallauris et Mandelieu en sont un bon exemple… Mais si les dérives et les errances d’un urbanisme fondé sur une double logique de production industrielle et de rentabilité financière sont connues, le chemin est encore long pour changer les mentalités…

… faire preuve de bon sens

Pour cela, il faut partir sur des considérations de bon sens. Les territoires sont des espaces vivants et comme tout organisme vivant leur métabolisme est en constante mutation et développe des stratégies d’adaptation aux aléas. Pour des urbanistes faire preuve de bon sens c’est donc sortir de considérations théoriques déconnectées de la réalité et penser l’aménagement du territoire au moyen d’outils de planifications rigides. Il faut au contraire penser une ville évolutive, souple, qui sait se « refaire sur elle-même » pour créer de la valeur capable de revivifier ses espaces dévalorisés tout en prévenant les aléas : une ville résiliente.

Citadia ville productive

Derrière ce concept à la mode et parfois un peu fourre-tout, se cache donc un retour à la nature intrinsèque des territoires : leur capacité à se réinventer. Il ne peut donc pas exister un modèle « clef en main » reproductible à l’infini car chaque territoire a ses propres spécificités. Toutefois, une série de principes d’actions peuvent guider les acteurs de la ville de demain au prisme de la réalité de chaque espace :

  • L’humilité des solutions proposées. Dans un pays d’ingénieurs comme la France, si l’on est capable d’évaluer à plusieurs millions d’euros de pharamineux projets d’infrastructures on en oublie souvent les techniques ancestrales de construction qui sont pourtant les plus durables…
  • Proposer une approche flexible des constructions et des réseaux pour pouvoir s’adapter aux modes de vie et aux transformations de l’environnement.
  • La réversibilité, c’est-à-dire la capacité de revenir sur ce que l’on a fait – jusqu’à rendre des espaces urbanisés à la nature – et intégration de cette capacité à la production architecturale et urbaine elle-même.

La résilience urbaine c’est une méthode d’action qui permet de réfléchir à la fois dans le temps et dans l’espace. Les projets urbains doivent penser la complémentarité et travailler finement les coutures entre chaque espace du territoire. Mais aussi prévoir leur évolution temporelle sur un modèle préventif et curatif : en anticipant les risques potentiels et en mettant à niveau les espaces déjà urbanisés on assure la durabilité des aménagements. En ce sens, la ville résiliente n’est qu’une autre facette de la ville intelligente au même titre que les problématiques d’énergie ou de transports. Par exemple, l’habitat de demain doit être à même d’anticiper les risques d’incendies, de crues et le cas échéant de prévenir les occupants sur l’état des gouttières, du bassin de rétention etc. Aussi trivial que cela puisse paraitre, ce sont ces petits éléments qui mis bout à bout peuvent éviter à une grosse pluie de se transformer en torrent de boue dévastateur comme cela devient dramatiquement trop souvent le cas. Mais c’est aussi une autre manière de penser l’existant car la ville résiliente permet de redonner de la complexité et de la vie à des territoires à l’abandon ou en crise socio-économique. Comment répondre à la jonction du  « bien vivre » et concilier les enjeux du travail, de la mobilité et du logement ? A travers ces réflexions, c’est une véritable ville vivante, ouverte et résiliente qui prend progressivement forme.

Citadia - ville intelligente

Au cours des siècles, les villes ont dû faire face à de nombreux enjeux (guerres, crises économiques, catastrophes écologiques, flux migratoires…). Certaines d’entre elles ont réussi à faire face et à se renouveler en puisant dans leurs ressources matérielles et humaines… Tout l’enjeu est donc de faire de chaque ville une « urbs aeterna » comme auraient dit les Romains il y a plus de 2000 ans…