Article rédigé par Julien Meyrignac & Kevin Guerel

La communication instantanée, rendue possible par l’e-mail il y a déjà plus de 10 ans, puis ancrée dans les mœurs avec les réseaux sociaux et notamment Twitter, a considérablement modifié notre conception des rapports espace / temps. Désormais, le temps pèse sur l’espace et créé une distorsion de sa représentation. Les flux deviennent aussi, voire plus importants que les lieux, et leur lecture établit des réalités souvent déconnectées des situations. L’accélération de la mondialisation par la révolution internet (décloisonnement, intégration etc) n’a pas seulement aplati le monde, elle l’a rétréci.

Aplatissement : un entrepreneur peut désormais commander sa ressource en temps réel et sans intermédiaire en Chine.

Rétrécissement : un étudiant peut se rendre pour le prix d’un Paris-Vierzon à Buenos-Aires, qu’il connaît déjà grâce à Google Street View, et où il a déjà de nombreux amis par la magie Facebook.

Les analyses géographiques (traditionnelle -physique et humaine- ou systémique) ne suffisent plus pour décrire, comprendre et structurer ces nouvelles relations entre les hommes et les territoires. La faute à l’éclatement des échelles jusqu’alors sagement emboitées.

La sociologie est grandement mobilisée sur les contrepoints à cette révolution : l’individualisme (de l’affirmation identitaire au narcissisme), le retour du local (le quartier, les circuits courts etc) et les nouvelles solidarités (pour ne pas dire communautarisme).

La politique est engluée dans la réforme territoriale et le come-back du « made in France ».

Si les phénomènes sont globalement mal appréhendés, leurs effets déstructurants ont rapidement généré des résistances. A la force d’émancipation du web se sont rapidement opposés des mouvements de replis.

Et si l’avenir voyait le monde se (re)fragmenter, donc reprendre de l’épaisseur (retour des frontières) et s’agrandir (coût des transports) ?

Distance(s)

Les distances s’effacent et se créent non plus en fonction du nombre de rues séparant le point A du point B, mais des fonctions et des usages. Wall Street se rapproche de la City et s’isole de Broadway.

La carte est touchée en son sens et devient otage de la moindre intention. Le numérique promeut les usages en se jouant de l’espace. Les lectures d’une ville n’ont jamais été aussi complexes et personnelles avec des outils qui font toujours plus corps avec l’homme (géolocalisation).

Le double-mapping des territoires d’usage établit une nouvelle géographie et met en lumière ces  nouveaux rapports espace / temps : une « carte du tendre » présentant l’individu dans son interland (un territoire d’usages réels très restreint), et une « carte du sujet » présentant les lieux d’échanges sociaux et économiques virtuels ainsi que les lieux de récréation (tourisme).

Représentation géographique d’un cadre dans la finance 

–       Lieux de vie – espace parcouru au quotidien :

–       Echanges sociaux et économiques – destinations occasionnelles :

 

 

Slow Land

La rupture d’échelle provoquée par le numérique s’inscrit peu à peu dans la carte, tandis que le grand écart entre un quotidien étriqué et un monde de possibles névrose les masses (de syndromes dépressifs en burn-out).

L’expérience urbaine –la vie au-delà de mon quotidien- devient une fiction dont les pages s’écrivent chaque jour sur la sphère numérique. La (re)découverte de quartiers populaires à quelques stations de métro ou de villages en sortie d’agglomération s’opère au travers de démarches affinitaires qui garantissent que, dans ces contrées hostiles, je ne manquerai pas de croiser mes semblables (Benoit LIKE Belleville sur Facebook, Stéphanie a noté ***1/2 La Ciotat sur Tripadvisor).

Vive « l’aventure de proximité vite et bien » : dirigés par un smartphone, nous voilà subjugués par les tissus urbains vernaculaires, par le petit patrimoine architectural ; puis assis à la terrasse de ce restaurant bio-bo. Mais quelle aventure ? Il s’agit le plus souvent de parcourir des territoires de conquête de la modernité en quête d’authenticité. La promesse faite aux masses branchées du monde entier drainées vers le Faubourg Saint-Antoine (rebaptisé E-BA pour East Bastille) ce n’est pas de se coltiner le melting-pot populaire de Charonne, c’est de retrouver les mêmes boutiques altermondialo-trendy de Spitalfield ou du Lower East Side, dans un environnement « sooo parisien ».

Parfois animés d’intentions culturelles véritables, mais toujours parce que le temps leur est compté, certains effectuent des visites guidées par GPS et racontées au casque. Mais avec quel libre-arbitre en vérité, et quelle qualité d’information ? L’information écrase le lieu, la dimension virale du 2.0 le domine.

Il est bien entendu que ces nouveaux comportements créent des ségrégations. La réalité augmentée à laquelle on souscrit pour des gains de temps bénéficie à certains lieux et en relègue d’autres : il y a les territoires inscrits dans les modes numériques, désirés et reconnus par Mr Tout-le-monde ; et il y a les autres.

Ready to slow ?

Paris                                                                          Burgarach

349 000 entreprise                                                     10 entreprises

21 196 hab./km2                                                           7,1 hab./km2

Sports de masse : foot, fitness                                  Sport populaire : rugby, pétanque

Une ville qui ne dort jamais                                       Une ville sauvée de l’apocalypse de 2012.

Un slow-land est une partie du territoire où le temps n’est pas agrégé et où il fait bon vivre « au rythme de la nature ». Ces territoires pratiquent, le plus souvent sans en avoir conscience, le slow-life et la slow-food comme un mode vie simple et sain. Ils sont pour les visiteurs les lieux d’expression de la vision rousseauiste de l’harmonie avec la nature et de la domination de l’avoir par l’être.

Longtemps dénigrés voire moqués comme lieux du repli social et aliénation, ils sont devenus des territoires de conquête de l’authentique par les citadins qui en font des lieux de retraites ou de vacances mais qui ne peuvent s’empêcher de les intégrer dans leurs « boucles ». Le temps y fait alors irruption, accompagné de toutes ses contingences : la 3G ou au pire un café internet, l’amplitude des horaires du marché pour des urbains qui se lèvent à 10h et déjeunent à 14h quand les locaux font la sieste etc.

Les territoires les plus proches peuvent même être absorbés par les « trous noirs » métropolitains qui absorbent et concentrent le temps. Leur quotidien bascule alors dans une revitalisation à la fois espérée et subie.

S’en suit un nécessaire et parfois limité rapport de force entre les attentes des urbains (souvent nourries d’une vision fantasmée de la campagne) et celles des locaux (ne pas bouleverser les habitudes/usages/traditions).

Mais la France regorge de slows-lands véritables, inexplorés, exsangues de population, rétifs…Préservés de l’urgence, oubliés par les flux, ils ne sont pas sans ressource, mais leurs ressources sont très négligeables sur l’échelle des valeurs mondiales.

Pas déconnectés du monde, simplement insoumis à l’immédiateté. Soucieux du capital humain, du bien-être de chacun et du cadre de vie de tous.

Peuvent-ils être envisagés comme les territoires d’un avenir de construction sociale et économique à une échelle –la vallée, le bassin, le massif- qui a pratiquement disparue ? Les urbains sont-ils prêts à rejoindre les slow-lands non pour les transformer mais pour se transformer eux-mêmes ?

Si le monde devait reprendre de l’épaisseur et s’agrandir, ces territoires pourraient constituer des alternatives crédibles à la crise urbaine qui ne manquerait pas d’advenir.