A peine avais-je eu le temps -long- de faire la démonstration par les faits que l’urbanisme n’est pas le terrain réservé des architectes et des ingénieurs (le combat de presque une vie, où il aura fallu développer une agence pluridisciplinaire de plus de 150 personnes, disposer de plus de 5000 références-mission dont de grands projets de maîtrise d’oeuvre urbaine), que les paysagistes en mal de crédit et pour se défaire du conflit stérile avec les architectes, lancent une OPA (avec éléments de langage et tout et tout) sur la géographie.

Je ne saurais que trop les remercier, tant ils m’obligent, es qualité de géographe authentique, assumé et revendiqué, à reprendre les armes.

Des paysagistes venus “défendre” leur réussite (?) au Forum des Projets Urbains, jusqu’aux discours lors de la remise du Grand Prix National du Paysage qui sont allés jusqu’à citer Yves Lacoste (un de mes pères spirituels putatifs, et vrai grand-oncle par union) pour s’auto-célébrer paysagistes-géographes, l’offensive est lourde.

Ce n’est pas un coup d’essai, il y a quelques années, ils ont essayé de faire croire à qui voulait l’entendre que l’urbanisme était à l’intérieur du paysage, et non l’inverse. Bon, on avait tous bien ri, et ils n’avaient pas insisté.

“Notre cheval de Troie, c’est la géographie” a notamment déclaré Henri Bava, Président de la Fédération Française du Paysage. Chacun appréciera, notamment les géographes qui, je l’espère ne sont pas particulièrement disposés à véhiculer qui que ce soit en se faisant enfler. C’est mignon même si ça manque de délicatesse, toutes ces déclarations d’amour aux échelles et aux inter-relations territoires physiques et sociétés humaines ; les yeux humides d’émotion devant cet apprentissage maladroit, je les inviterais presque à relire Roger Brunet dont ils devraient se revendiquer bien plus que d’yves Lacoste s’ils s’étaient véritablement investis dans le domaine plutôt que de se payer de mots.

La géographie, matière méprisée par le système éducatif français, dont l’influence décisive sur l’aménagement du territoire des années 50/60 (“Paris et le désert français” 1947, ça vous parle ?) a été férocement piétinée jusqu’à la plus totale marginalisation par les corporatistes ingénieurs et architectes ; qui se sont appliqués, une fois les coudées franches, à pervertir le modèle des cités d’avant-guerre (utopies sociales) en grands ensembles (réalité sordide) mais c’est une autre histoire.

Cette géographie, qui ne semble exister que flanquée de son double maléfique (l’histoire) dans les programmes scolaires, ou derrière quelques portes obscures des universités de sciences humaines, cette géographie est une matière et une science, une humanité, à part entière dont on ne peut se revendiquer par procuration ou association d’idée.

Si j’osais, comme on dit en Espagne (blague de géographe NDLR), amis paysagistes, porté par l’envie de vous remettre en place plus que de vous provoquer, je vous dirais même que le paysage est dans la géographie. Pas l’inverse. Et que vous avez raison, la géographie et les géographes ont aujourd’hui toute leur place dans les projets de territoire et d’urbanisme, mais sans vous, qui abusez du fait que, marqués au fer rouge du plus inexplicable des mépris, ils rasent les murs, ne revendiquant jamais leur origine.

Vous comprendrez donc aisément que pour conclure, c’est à eux -les géographes- que je m’adresse. Ne voyez-vous pas que ce monde, ces territoires, ces gens, ont besoin de vous pour ce que vous êtes ? Que le concept même de développement durable des territoires est emprunté à la biogéographie qui a conceptualisé la théorie du bilan en développant la notion de biocénose ? Que les problématiques de prise en compte des risques et de résilience des territoires convoquent vos compétences en climatologie et géomorphologie ? Que tout diagnostic territorial qui se respecte n’est jamais que la mise en pratique de vos connaissances en géographie humaine (et notamment des statistiques appliquées à ce domaine)? Qu’un bon Projet d’Aménagement et de Développement Durables de SCOT ou de PLU est un chorème (cf les travaux du GIP Reclus et Brunet, encore…) ? Qu’un bon projet urbain prend ses racines dans la compréhension des enjeux multi-scalaires, et se développe suivant une logique macroscopique (à la fois composante et principe actif) ?

Qu’attendez-vous pour revenir dans la mêlée ?

Et faire que notre géographie, cette matière molle, leur mène la vie dure ?

Je vous attends.

Julien Meyrignac