Julien Carbone, est un défricheur, un plasticien qui a une haute conscience du pouvoir de l’Art dans la vie quotidienne et dans la transformation des modes et cadres de vies.

 Titulaire d’un doctorat en Sciences de l’Art, il a fait le pari du renouvellement d’un centre-ville (Toulon), du DIY en créant une galerie d’art contemporain à la programmation exigeante (l’Axolotl), et du collaboratif en s’impliquant dans les différentes structures associatives qui ont contribué à changer l’image et les usages de ce centre.

Il nous explique comment la culture et l’art peuvent contribuer activement à la revitalisation des villes.

 

Comment situez-vous le rôle que peut jouer l’Art dans la régénération des centres-villes ?

Essentiel ! On a tendance à minimiser le rôle fondamental de révélateur et de catalyseur de l’Art dans certains grands projets urbains : le projet de l’Ile de Nantes avec le foisonnement de collectifs artistiques, dont Royal de Luxe, qui ont occupé les friches et permis de projeter ce site dans un imaginaire ; ou le quartier de l’Amphithéâtre à Metz développé autour du « Pompidou » de Shigeru Ban.

La culture est une germination, elle incarne le renouveau, convertit les regards, interpelle. Mais elle doit être « activée » pour produire ses pleins effets. Elle doit être comprise, accompagnée et mise en avant par les territoires et les collectivités.

Elle devient alors un levier puissant, capable de changer la vie des gens, changer les cadres de vies.

Les municipalités le savent bien je crois, désormais. Quand on propose une activité culturelle intéressante, on attire un public nouveau qui porte un regard ouvert et bienveillant, créatif sur le territoire hôte. Qui retrouve ou développe une attractivité nouvelle, parfois inattendue. A commencer pour les habitants, les locaux, qui développent une certaine fierté à voir leur quartier sous un jour nouveau, valorisant. Qui veulent être acteurs du renouveau et s’abandonnent volontiers à sortir de leur réalité quotidienne, parfois dure…

Dans ce nouveau contexte, empathique, positif, fleurissent les initiatives économiques, et très naturellement les marchés du logement et de l’emploi se réactivent.

 

Mais dans votre cas, la situation économique et urbaine de Toulon n’était pas celle de Nantes, alors pourquoi avoir décidé d’en investir le cœur ?

C’est vrai que Toulon à la sortie des années 1990 était en panne de … tout ! De développement, de culture, de désir. Le passage du Front National à la mairie n’y était pas étranger. Dans ce triste bilan, la culture faisait office de grande sinistrée et les forces d’actions du territoire étaient éteintes.

C’est dans ce contexte que je suis arrivé à Toulon pour me lancer avec un ami dans un projet de bar à cocktail « l’Arbre à Bulles » où mêler culture et convivialité. C’était un vrai pari, mais le centre-ville était un véritable terrain de jeu où tout restait à inventer. Nous imaginions dès le départ essaimer et stimuler les initiatives locales… Très vite, j’ai créé la galerie, et plus de 10 ans après le bar et la galerie sont toujours là et la ville s’est transformée ! Il faut dire qu’une politique de rénovation urbaine ambitieuse et efficace a été conduite par la ville et la société d’économie mixte VAD ; on aime à penser qu’on a contribué à inspirer et amplifier ce renouvellement en invitant des artistes, des curateurs et des passionnés du monde entier Qui pour la plupart ont découvert Toulon et qui tous veulent y revenir, deviennant des ambassadeurs de la ville et de sa culture.

 

Mais ne risque-t-on pas, avec l’art, de flirter avec un certain élitisme et de passer à côté des attentes des habitants de ces quartiers populaires ?

Il faut au contraire que l’art soit un garde-fou contre les effets d’aubaine des projets de revitalisation urbaine.

Toulon m’a permis, jeune actif sans grands moyens financiers de créer une galerie d’art. Mon associé Yan Lasserre et moi-même n’aurions pas pu réaliser ce projet dans une autre grande ville de la côte méditerranéenne. Et nous sommes très attachés à rendre à Toulon et aux toulonnais ce qu’ils nous ont offert. Nous défendons des artistes et présentons des œuvres pointues, parfois dérangeantes, à un public local de voisins, autant qu’aux amateurs les plus éclairés.

Nous voulons permettre à tout le monde de s’émouvoir devant une œuvre, et même de repartir avec quelque chose qui les a émus, cela nous semble essentiel.

Nous avons même adapté nos horaires d’ouverture pour nous « coller » au rythme de vie des habitants. Et le résultat est simple : nous avons presque 20 visiteurs journaliers, des chiffres de fréquentation que même les grandes galeries parisiennes n’atteignent pas ! Et un public neuf, pas habitué aux galeries d’arts … une vraie fierté !

Quant à savoir si la sociologie du centre risque d’être transfigurée, je ne le crois pas. Evidement on constate une aimable « boboïsation », mais des gardes-fous sont en place, notamment un parc de logement social et conventionné important ; et plus encore, il y a l’identité Toulonnaise, fondamentalement populaire… loin du Vieux Nice ou du Marais.

Aujourd’hui vous êtes engagé dans l’association le Port des Créateurs qui se présente comme un accompagnateur et un facilitateur de projet culturel. Quel peut être le rôle d’une association comme celle-ci dans le développement d’un centre-ville ?

La ville de Toulon a lancé un appel d’offres pour gérer un équipement public à destination économique et culturelle. Nous avons présenté le projet associatif du Port des Créateurs, et il a été retenu.

L’objectif est d’accompagner les projets artistiques et les collectifs d’artistes dans leur émergence et de faciliter leur développement et leur professionnalisation en leur mettant à disposition des moyens matériels (locaux etc) mais aussi et surtout humains. Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait dans des villes comme Lièges avec le Comptoir des Ressources Créatives : un lieu où des artistes et des professionnels du monde de la culture peuvent venir travailler dans un espace de bureaux partagés. En proposant une véritable mutualisation de l’espace que ce soit au travers des espaces de travail ou de détentes, nous  permettons la rencontre des énergies et la circulation des idées ce qui a donné naissance à une véritable communauté culturelle en cœur de ville.

Cet esprit « start-up » a pris une première forme avec la résidence « Booster » : détecter et faire éclore dans un temps court des projets artistiques ou culturels sur le territoire de l’agglomération. Durant deux mois de résidence, chaque projet est accompagné (notamment financièrement grâce à une bourse) et mis en réseau avec des pairs, partenaires ou autres…

Aujourd’hui, le Port des Créateurs héberge plus d’une vingtaine d’associations : artistes, designers, chorégraphes disposent désormais d’un lieu hybride ouvert sur leur ville et ses habitants.

Quelles sont les conditions pour un déploiement réussi d’une telle structure ?

D’abord bénéficier d’un engagement confiant de toutes les parties prenantes. Sur cette question le rôle de la politique municipale est fondamental. Mais le bon état d’esprit de tous les acteurs de la vie culturelle et artistique est aussi essentiel. Nous avons eu la chance de bénéficier des deux.

Ensuite faire partie intégrante d’une politique élargie de renouvellement urbain et redynamisation économique. S’ancrer dans un projet global pour aujourd’hui…et demain..

Car une fois que la dynamique de renouvellement a produit ses effets sur le centre-ville, avec l’arrivée de nouveaux habitants, de nouvelles activités économiques, il ne faut pas s’arrêter mais au contraire lui donner un surplus de vitalité pour qu’il rayonne sur toute l’agglomération et bien au-delà.

Mais jusqu’où est espéré l’effet d’entraînement ? Quelles sont les limites selon vous de l’exercice ?

Aucune limite ! Ni dans le développement des projets culturels, notamment en essayant de stimuler au maximum les initiatives « endogènes » de jeunes du centre-ville, en multipliant les formats de rencontres avec le grand public : ateliers, projections, etc

Ensuite, il faut organiser la rencontre entre le redéploiement des activités et habitants en place, ceux qui étaient là avant, et le développement d’initiatives nouvelles en lien avec la redynamisation du centre. Les possibilités d’enrichissement des liens sociaux sont énormes : par exemple, nous organisons au Port des Créateurs des cours d’alphabétisation, et la chorégraphe Régine Chopino donne des cours d’expressions corporelles avec des primo-arrivants du quartier, souvent réfugiés qui ont vécu le pire… c’est un projet global, attentif à chacun.

Et chacun espère que cet état d’esprit autant que ces actions très concrètes auront des effets d’entraînement économiques et sociaux eux-mêmes sans limite ! Recréer non pas une vie culturelle mais une vie tout court, économique, commerciale, sociale, diurne, nocturne…

Les projets se multiplient, d’hôtels, de commerces… La ville monte les marches, et elle les monte assez vite finalement, et sans doute aurons-nous bientôt notre projet emblématique, à l’image du Darwin de Bordeaux. Il n’appartient qu’à nous !

ENCADRÉS DE PRÉSENTATION…

Le port des créateurs est une association Toulonnaise qui a pour but de proposer et fédérer tout projet culturel en relation avec les pratiques émergentes.

>Vous pouvez vous y rendre en vous rendant sur la place des savonnières ou en visitant leur site internet : http://leportdescreateurs.net/

La galerie Axolotl de Julien Carbonne et Yann Lassère, fondée en 2012, est située au cœur de la vielle ville de Toulon. La ligne artistique défend une création résolument contemporaine, avec une sélection d’artistes nationaux et internationaux : Scarpa, Alain K, Hildegarde Laszak, Mélanie Duchaussoy, CorpusLab, Patrick Lacroix entre autres noms.

>Pour vous y rendre c’est au 23 rue Nicolas Laugier ou sur leur site internet : http://www.axolotl-shop.fr/blog.html