Article rédigé de Yohan Gaillard

A la grande surprise du sociologue américain Paul H. Ray et de la psychologue américaine Sherry Anderson, leur enquête effectuée en 2000 auprès de 100 000 personnes a mis en évidence que 25 % de la population américaine n’étaient ni traditionnalistes, ni modernistes. Aujourd’hui, Ils seraient plus de 35% tandis qu’en France, une enquête similaire menée en 2006 estime qu’ils représentent environ 20% de la population.

Contrairement aux bobos ou à la génération des Millénaires aux caractéristiques sociologiques bien définies, ils ne peuvent être caractérisés par un âge, un sexe, une profession ou une origine géographique. Nous, vous, toi, moi pouvons en être à moins que le soyons déjà.

Mais qui sont-ils ? Dans « Les clés du Futur », Jean Staune estime qu’ils portent l’émergence d’une troisième voie : le « transmodernisme » et résume leurs valeurs en 5 points :

  1. Le développement personnel et spirituel : donner un sens à sa vie et avoir une morale en dehors de tout dogmatisme ;
  2. Le respect de la nature : respecter sa santé et son environnement ;
  3. Le respect de l’autre : s’ouvrir à la différence ;
  4. L’insatisfaction envers les experts de tous ordres : remettre en cause ce qu’on nous dit ;
  5. La recherche de la cohérence personnelle et d’authenticité : respecter les principes que je me suis fixé.

Ces personnes qui représentent un tiers de la population occidentale et japonaise sont les Créatifs Culturels, un terme qui selon Paul Ray et Sherry Anderson rend compte que « d’innovation en innovation, ils sont en train de créer une nouvelle culture du XXIeme siècle ».

Si Jean Staune décrit parfaitement la société et l’économie qu’ils sont en train d’inventer, il ne précise pas comment ils influencent l’aménagement du territoire. Mais avant de dessiner les grandes lignes du territoire qui répondraient aux valeurs des Créatifs Culturels, il est nécessaire de préciser les territoires auxquelles peuvent se référer les traditionnalistes et les modernistes :

  • Le territoire du traditionnaliste est marqué par des habitudes culturelles et religieuses fortes : l’église, l’école et le champ sont les places fortes du village. Sa gouvernance très localisée, repose sur trois têtes : le maire, l’instituteur et le curé ;
  • Le territoire du moderniste est plus vaste et vise son propre développement personnel en vue de sa « réussite sociale ». La place forte est le centre commercial tandis que la gouvernance s’appuie par un système représentatif pyramidale s’appuyant sur les gouvernants et les experts.

Ce passage d’un état territorial à l’autre, si bien décrit par Jean-Pierre le Goff dans « la fin du village », a eu des conséquences plus ou moins heureuses sur la société et l’environnement. Alors, quelle sera la prochaine révolution territoriale ?

Le territoire des Créatifs Culturels, à la fois individualistes et ouverts sur le monde, aux valeurs éthiques et respectueuses de l’environnement, pourrait s’appuyer non plus sur une gouvernance représentative mais sur une gouvernance populaire de type démocratie athénienne, les femmes en plus ! La place forte de ce territoire serait un lieu de partage où les personnes pourraient apprendre, créer et produire pour soi et pour les autres, en lien avec le monde : il s’agirait probablement des hackespaces souvent appelés fablabs en France même si ce terme est réducteur.

Si les hackerspaces émergent partout en France et dans le monde, d’autres marqueurs liés aux Créatifs Culturels influencent le territoire actuel et son aménagement : les AMAPs, la cueillette à la ferme, le commerce équitable, les produits labélisés, le développement des superettes et le déclin des hypermarchés, l’autopartage, le covoiturage, les vélos libres services, la deuxième vie des objets, l’économie circulaire, le financement participatif, la production de sa propre énergie, l’installation de spécialistes de la médecine douce, …

La liste est encore longue et dessine un territoire individualisé où l’habitant est à la fois gouvernant, expert, consommateur et producteur mais également, intégré dans le réseau mondial puisque ses habitants sont dépendants des autres dans les décisions, la connaissance, la commercialisation et la production (La Démocratie participative, Wikipedia, LeBonCoin et l’OpenSource en sont des exemples concrets).

Finalement, le Créatif Culturel ne vivra pas dans le village ou dans la ville mais dans la métropole, à la fois locale et globale. Elle constitue sans doute l’échelon clés de cette troisième révolution territoriale sur laquellle, nous, environnementalistes et urbanistes seront amenés à travailler non plus comme experts mais comme facilitateurs d’idées et de projets.